« We’re closing now miss. » Les écouteurs dans les oreilles, la jeune femme n’entendit pas le serveur continuant donc de pianoter à toute vitesse sur les touches de son ordinateur. Il n’y avait pas à dire ses cours l’intéressaient beaucoup plus, peut-être d’autant plus qu’elle n’avait plus besoin de craindre ses résultats, d’avoir peur de ne pas être à la hauteur. Plus personne n’avait d’attente désormais, elle ne devait rien à personne et n’avait choisi ses études que pour elle, qu’en fonction de ses propres goûts, ce qui avait le don de la rendre plus appliquée. Elle s’arrêta un instant pour attraper sa tasse de café, juste alors que le serveur allait la tapoter sur l’épaule. Relevant ses yeux dorés vers lui, elle haussa les sourcils. « Is it seven already? » Il lui répondit d’un hochement de tête et sans plus attendre elle rassembla ses affaires, les fourrant sans ménagement dans son sac de toile. « I’m so sorry. » Il lui offrit un petit sourire avant de s’éloigner pour prévenir les rares autres clients qui n’avaient pas vu le temps passer. Elle libéra ses cheveux du chignon tenu par l’un de ses crayons et l’ajouta à la pile de cahiers surplombée par son ordinateur dans son sac. La petite cloche au-dessus de la porte d’entrée de la boutique tinta et elle se retrouva à l’air libre. Ses souvenirs de la ville étaient vagues, elle l’avait quittée à l’âge de huit ans et bien qu’en apparence peu de choses avaient réellement changées quelques échoppes s’étaient reconverties. Le plus dur néanmoins c’était le manque de tête familière. Ses amis d’enfance étaient partis ou trop changé pour qu’elle les reconnaisse. De toute façon elle était beaucoup trop occupée pour les chercher, entre la fac à Dublin et ses chasses à Glencullen elle avait de la chance d’encore trouver le temps de passer quelques après-midi dans une libraire-café, même si c’était pour travailler. Remontant le col de sa veste pour se protéger du vent froid, elle se mit en route vers l’appartement qu’elle partageait avec sa sœur. La seule famille qu’il lui restait. C’était pour ça aussi, qu’elle n’avait pas pris le temps de chercher d’anciens camarades car ceux qu’elle souhaitait revoir le plus au monde elle ne le verrait plus jamais. Elle se rendit rapidement compte arrivée dans une petite rue, qu’elle n’avait pas pris le bon chemin depuis l’artère principale. Ses pas l’avaient guidée vers un autre coin de la ville, tout autant familier, si ce n’était même plus que celui où elle habitait désormais. À une centaine de mètres d’elle, elle pouvait voir la bâtisse dans laquelle elle avait grandi, la demeure des Abberline devant laquelle elle n’avait osé se retrouver depuis qu’elle était revenue. Similaire à toutes les autres, il n'y avait que la jeune femme pour pouvoir la différencier, pour se souvenir des écorchures qu'elle s'était faite aux genoux en jouant sur le trottoir devant le perron au cours de ce qui lui semblait être une autre vie.

Elle ne s’était pas sentie capable d’y remettre les pieds, le massacre obscurcissant tous les bons souvenirs qu’elle avait pu créer dans cette maison. Elle était là pourtant et les yeux plissés elle remarqua la lumière derrière l’une des fenêtres. Sybil n’avait jamais eu l’âme vengeresse, mais elle sentit une certaine rage monter en elle en songeant que quelqu’un vivait-là, quelqu’un qui n’était pas eux. C’était injuste. Une autre partie d’elle se demandait toutefois comment même le meilleur agent immobilier du monde avait su convaincre qui que ce soit d’emménager dans une maison qui avait tant d’histoire. Poussée par la curiosité elle s’avança, presque malgré elle et se retrouva, bien trop vite devant la porte. Trois coups secs sur celle-ci, avant de se rendre compte que c’était une bêtise, qu’elle allait déranger quelqu’un qu’elle ne connaissait sûrement pas et tout ça pour quoi ? Pour revisiter une maison qu’elle serait sûrement incapable de reconnaître ? Pour voir les affaires d’un autre dans la chambre qui avait été la sienne ? Elle voulu faire demi tour, mais ses pieds semblaient comme enracinés dans le sol. Et puis elle entendit des pas s’approcher et elle su qu’il était trop tard pour changer d’avis. Un air tout à fait gêné peint sur le visage, elle vit la porte s’ouvrir, une vague d’excuses prête à déferler de ses lèvres rosées.

family portrait
ft/Sybil Abberline

Dans sa main droite : le rapport de traque que lui avait fournit un ami du centre. Dans sa main gauche : sa fourchette sur laquelle trônait deux trois pâtes qu’il avait piqué avec un peu trop de violence, quelques secondes auparavant. Les sourcils froncés par la concentration, James lisait ce qui se trouvait sous son regard, alors qu’il ouvrait la bouche pour prendre ses pâtes. La cuisine avait une lumière agréable, parfaite pour lire. Plutôt forte, Faith détestait quand elle n’y voyait rien, pour cuisiner. Une lumière plutôt jaune, mais pas trop. La table ne servait que pour les petits déjeuner, normalement. Autrefois, sa fiancée insistait pour qu’ils mangent, chaque soir, dans la salle à manger. James n’en avait strictement rien à foutre, mais puisque Faith n’était pas le genre de femme que l’on se met à dos, il avait accepté. Jusqu’à ce que tout bascule, évidemment.

Désormais, il traquait sa fiancé. Certains ont des passe temps bien moins amusants, n’est-ce pas ? Tout un temps – et la coupe sur la cheminée en témoigne ! – James avait joué aux échecs. Et pas n’importe comment, non. Il était devenu champion d’Irlande, il y a quelques années. Après cette victoire, il s’était arrêté. Les échecs, ça avait affuté son côté stratège et il avait même essayé d’apprendre à Faith – qui était censée être la vraie stratège, puisque c’était une femme, et que le code le voulait -, c’était peine perdue. La brune n’aimait pas ça, et la discussion n’avait pas été remise sur le tapis. Son côté un peu trop prof agaçait parfois la cuisinière, ce à quoi James répondait qu’on ne peut pas tous avoir un métier si ap…

Des coups frappés sur la porte le sortirent de ses souvenirs. Il lâcha le rapport de traque sur la table, et posa sa fourchette dans son assiette. James attrapa une serviette, et s’essuya la bouche avec, avant de prendre un peu de vin pour se rincer le gosier. Il se leva et se dirigea vers la porte d’entrée. Qui pouvait bien lui rendre visite à cette heure-ci ? Conditionné par le traumatisme qui avait fait basculer sa vie, il attrapa son arme qui se trouvait dans l’armoire du hall, et la glissa à sa ceinture, dans son dos. Il avait tous les sens en alerte – on ne prend pas un chasseur par surprise – mais, étrangement, il avait aussi un bon pressentiment. Le chasseur posa sa main sur la poignée, et ouvrit la porte.

Une blonde se trouvait devant lui. Une blonde qui avait un petit quelque chose de douloureusement familier. Certains de ses traits auraient tout à fait pu être ceux de Sybil, si elle avait survecu. Le visage de la petite, il ne l’oublierait jamais. Elle était la prunelle de ses yeux, et si il combattait avec tant de haine et de rage, c’était en partie parce qu’on la lui avait volée. Elle, et Imogen, et leurs parents. “I’m not buying anything.” Il ne voulait pas se laisser aller aux divagations de son coeur meurtri. Sybil était morte. Mais pourquoi est-ce que ce pressentiment ne lui lâchait pas la grappe, deux secondes ?

Ses excuses moururent sur ses lèvres quand l’habitant apparu sur le pas de la porte. C’était probablement le fait de se retrouver devant la maison familiale, qui lui faisait voir quelque chose de familier dans les traits de l’homme qui vint lui ouvrir. Oui, c’était probablement une association un peu folle que faisait son cerveau, pourtant la sensation fut suffisamment frappante pour qu’elle écarquille les yeux et en oublie de parler. Elle aurait pu jurer qu’il avait quelque chose - non, tout même - de James, de son aîné perdu en même temps que ses parents, mais elle savait pertinemment que c’était impossible et elle préféra mettre cette idée farfelue sur le dos de l’émotion. Peut-être qu’elle avait plus besoin de se recueillir ici qu’elle n’en avait eu conscience jusque-là. « I’m not buying anything. » Sybil sembla se réveiller soudain et secoua précipitamment la tête avant qu’il ne referme la porte sur elle. Quelques instants plus tôt, elle aurait sauté sur l’occasion de faire demi tour, mais elle n’en avait plus envie désormais. Aussi douloureux que cela pouvait être de faire face à quelqu’un qui ressemblait tant à son aîné, elle avait besoin de rester d'en savoir plus. Et puis, il y avait sa voix aussi. C’était la première chose qu’on oubliait chez quelqu’un, peut-être parce que, contrairement aux visages, on prenait rarement le temps d’immortaliser les voix. Pourtant et quoique, avant de l’entendre parler elle aurait été incapable de se remémorer le timbre vocal de son frère, elle était persuadée désormais que celle de l’inconnu était quasiment identique, pour ne pas dire entièrement. « N-no, it's not…I’m not… » balbutia-t-elle d’abord, cherchant les mots qui le sauraient le retenir et surtout, les mots qui ne la feraient pas passer pour une folle. Elle leva les mains en l'air comme pour prouver qu'elle n'avait aucune babiole à offrir. « I…uh, it’s the house I’m interested in, I didn’t mean to disturb you but uh… » Elle du réprimer son envie d’enfouir son visage dans ses mains pour échapper à l’embarras de la situation.

Elle ne pouvait pas s’inviter à l’intérieur c’était certain. Elle ne pouvait pas lui dire qu’elle avait vécu ici non plus, ou Imogen, si mise au courant, lui passerait un sacré savon. Nul doute que les loups qui avaient tué leur famille les croyaient mortes elles aussi, ou tout du moins disparues pour de bon. Mais elle ne pouvait qu’être un rien méfiante devant l’étrangeté de la situation. Il n’était pas complètement improbable après tout, qu’un loup ait pris ses quartiers dans la maison de ceux que sa meute avaient anéantis. Et alors, révéler son identité serait particulièrement dangereux. évitant toutefois le regard du jeune homme. Elle ne pouvait se retirer de l’esprit cette ressemblance aussi frappante qu’impossible et elle savait que si elle osait le regarder elle ne pourrait que le dévisager à la recherche, non pas d’une preuve que c’était James, mais au contraire du moindre défaut de ressemblance. Elle avait déjà fait son deuil, difficilement, douloureusement elle n’avait pas très envie de s’y replonger. « I…used to know the people who lived here. I was just curious as to what it’d become. » avoua-t-elle finalement. Trop faible, trop curieuse, trop naïve peut-être, elle releva finalement son regard ambré vers lui.  « Fuck, you really look like… » Elle secoua la tête, non, c'était physiquement impossible, elle devait halluciner, on avait du lui mettre quelque chose dans son café. Ses souvenirs étaient trop confus voilà tout. Et si elle ne voulait pas qu'il appelle la police, il valait mieux qu'elle s'arrête-là. « Nevermind, I'm sorry I disturbed you. Have a good evening sir. » fit-elle réajustant son sac de toile sur son épaule.

family portrait
ft/Sybil Abberline

James était sur le point de refermer la porte pour pouvoir retourner à la lecture du rapport de traque, quand la blonde ouvrit à nouveau la bouche. Il lisait son expression avec facilité, lui qui avait l’habitude de décrypter les gens. Elle était surprise, semblait même décontenancée. Il ne comprenait pas pourquoi, mais ce pressentiment ne le quittait toujours pas. Le professeur l’écouta. « N-no, it's not…I’m not… » elle perdait ses moyens, mais il ne comprenait pas encore pourquoi. James soupira doucement, la laissant continuer. « I…uh, it’s the house I’m interested in, I didn’t mean to disturb you but uh… » Les mains en l’air, elle lui prouva du même coup qu’elle n’était pas là pour tenter de lui vendre la moindre chose. James acquiesça, en signe de compréhension. Poussé par la curiosité, et son pressentiment, il ne ferma pas la porte et attendit qu’elle continue. Mais alors qu’elle semblait hésiter, James continua à détailler ses traits et il remarqua qu’elle en faisait de même avec lui. Le chasseur n’aimait pas être détaillé comme ça, surtout quand il savait que sa vie pouvait être mise en danger, depuis tout ce temps, en restant ici. Il avait son arme dans son dos, au cas ou. Après l’attaque, il s’était entrainé à dégainer plus vite, sous les ordre d’un vieux chasseur que le centre avait envoyé pour s’assurer que James continuerait à respecter le code. Oh, il le respectait, le code. Peut être même un peu trop.

« I…used to know the people who lived here. I was just curious as to what it’d become. » James fronça les sourcils. C’était impossible qu’une jeune fille comme elle ait rencontrés les gens qui vivaient dans cette maison avant lui et sa famille. Il y vivait depuis des années – quinze ans -, et n’avait jamais vendu ou loué la maison. Elle appartenait aux Abberline depuis que ses parents l’avaient achetée, avec l’aide de l’Ordre et des Argent, qui les avaient envoyé ici. « Fuck, you really look like… » Il ouvrit la bouche pour lui demander quoi, mais elle secoua la tête et changea d’avis. « Nevermind, I'm sorry I disturbed you. Have a good evening sir. » James sortit de la maison, la main dans son dos, sur la crosse de son arme. Il voulait savoir, il ne pouvait pas la laisser fuir. Il ne savait pas pourquoi, mais son instinct le poussait à agir, et bien qu’il ne soit pas particulèrement instinctif, d’habitude, il le suivit cette fois. « Look like who? » Lança-t-il derrière elle. « It’s nearly impossible you knew the ones who lived here before I did. I’ve lived here for fifteen years. » Prudent, il ne lâchait pas son arme, dans sa ceinture. Si elle était une louve de la meute qui les avait attaqué, elle était peut être juste venue enquêter. Trouver une louve aussi ressemblante à sa petite sœur serait un coup de maître, mais James n’écartait aucune possibilités. Pas quand sa vie était en danger. Il avait eut une chance extraordinaire de s’en sortir, laissé pour mort dans le sang de ses propres parents, sans savoir où se trouvaient Sybil et Imogen. Probablement mortes elles aussi. Mortes, elles aussi, il en était convaincu, et il l’avait difficilement avalé. « So, who are you? And what do you really want? » Si il n’était pas au milieu de la rue, James lui aurait probablement braqué son arme sur le front. Il avait changé, le drame l’avait changé. Les sourires étaient revenus, difficilement. Les quelques blagues un peu lourdaudes aussi, mais la méfiance qu’il avait acquis lui collait à la peau, et elle était accompagnée d’une agressivité nouvelle.