Il déambule un peu au hasard. Sans réfléchir. Il a besoin de s’aérer la tête, de plus en plus souvent, et disparaît de la maison familiale à de nombreuses reprises depuis ces derniers mois. Il ne va pas bien, et tout le monde le voit, mais il n’autorise personne à l’approcher. Comme une bête sauvage qui tente de panser ses blessures seule, il s’isole sans arrêt et ne supporte plus le monde autour de lui. Adam, autrefois si extraverti, n’est plus le même.

Ses pas l’ont mené dans la clairière cachée au milieu de la forêt où il chasse très souvent. Là où tout s’est arrêté et où tout ce qu’il avait difficilement construit s’est effondré. Il laisse le calme des lieux l’envahir, respire les odeurs d’humus, concentre son oreille sur les bruits qui grouillent autour de lui. Son regard se porte sur une tache de sang rougie, révélée par des feuilles mortes envolées sous le vent. C’est là. Il n’a même pas besoin de ce détail pour le savoir, quelque chose s’est allumé dans sa tête pour le lui hurler. Ses souvenirs reviennent et s’enchaînent sur le fil de sa mémoire, il revit la scène et ressent encore son intensité malgré les mois qui ont suivi. Il ressent sa douleur, et le sentiment de trahison qui s’est alors emparé de son être tout entier. Il aurait pu, ce soir-là. En fait, c’est la seule fois où il avait assez de rage pour aller jusqu’au bout. Maintenant, cette rage, elle s’émousse face au dégoût qui envahit sa bouche, un parfum de pourriture dont il ne peut même pas se débarrasser en dégueulant dans un coin.

Adam est perdu. Fatigué, aussi. De se voir refuser un brin de bonheur, de devoir fermer les yeux, hocher la tête exécuter. D’échouer à rendre heureux Adam en étant Harkwood. Ce calme ambiant autour de lui ne le ressource même pas à la vérité, rien n’y arrive, si ce n’est les bras qui lui sont interdits. Il rebrousse chemin pour entrer dans son pick-up et démarrer le contact. Il a l’envie dévorante de le voir, ce besoin malsain de l’apercevoir, de se rendre compte que personne ne l’a tué à sa place. Dans son esprit confus, Adam ne sait pas ce qu’il veut faire et s’en remet à son instinct. Tout est détraqué et les décisions qu’il peut prendre sont tout sauf raisonnables. Sa raison, elle a foutu le camp depuis un bon moment déjà. Son pick-up avale la route en une petite heure, et le jeune homme se retrouve devant l’appartement qu’il a failli occuper. Il coupe le moteur. Et regarde. Longtemps. Presque sans cligner des yeux. La peur lui prend les entrailles au fur et à mesure que les secondes s’écoulent. Et si… Et si quelqu’un avait eu raison de lui, sans qu’Adam ne soit au courant. Les O’Leary, peut-être ? Il se met à bouffer le peu d’ongles qu’il a, quand soudain une silhouette connue apparaît. Adam se jette au dehors de sa voiture, claque la porte et avance à grande enjambées vers Lyle Reaken.

« Où il est ? » Lyle connaît Cilian, et Adam le sait Le chasseur sait aussi que le brun ténébreux au sourire agaçant qu’il a devant lui est le pilier de son ex-petit ami, celui vers qui il trouvait refuge à chacune de leurs disputes. Même s’il n’a jamais vraiment su la profondeur de ce qui les unit, ce qui le rend irrémédiablement jaloux, Adam sait que Lyle sait. Celui-ci a un sourire entre la moquerie et le dégoût, et le regard qu’il porte sur lui est pire que supérieur. « Chez moi, comme d’habitude. » Le poing d’Adam se serre. « Depuis qu’il a appris que son petit ami pouvait le tuer à tout moment, disons qu’il se sent plus en sécurité avec l’un de ses congénères. » Les réflexes d’Adam ne se font pas attendre. Il dégaine un couteau et pointe la lame dans le cou de son adversaire et s’y enfonce un tout petit peu. Une perle de sang jaillit et en trempe l’extrémité. Lyle n’est pas impressionné, il se contente simplement de hausser les sourcils. « Si tu veux jouer à ça. »

Il voit les lèvres du sorcier se mouvoir et le manche de son couteau le brûle soudainement. Adam résiste, va pour enfoncer davantage la lame, mais pousse un cri de douleur en laissant finalement tomber son arme. Aussitôt, Lyle en profite pour envoyer un uppercut dans la mâchoire du chasseur et le sonne quelques secondes nécessaire pour lui balancer son genoux dans le ventre. Adam se reprend rapidement, attrape la jambe de Lyle pour le déséquilibrer et l’envoyer à terre. Il se case de tout son poids sur lui et sans réfléchir porte ses mains à son cou pour l’étouffer. Lyle porte les siennes aux poignets de son assaillant et les brûle des flammes qu’il parvient à invoquer difficilement. Adam le lâche, tente de rattraper son couteau en tendant le bras, se déséquilibre une nouvelle fois et le rapport de forces s’inverse. Lyle est lourd sur lui, immobilise ses jambes de son poids et lui interdit l’accès à ses lames et poisons. Il tente de le repousser mais le sorcier a une force herculéenne et brûle sa peau de ses paumes. Sa voix est tranquille malgré les efforts qu’ils produit pour maintenir Adam en place. « JE vais te tuer, petit chasseur, parce que Cilian n’aura jamais le cran de le faire. Tu comprends j’espère, que je ne peux pas laisser la menace que tu représentes dans la nature. » Adam a envie de hurler pour alerter quelqu’un dans ce quartier trop tranquille, mais les mains de Lyle appuient sur sa gorge et la brûle. L’instinct de survie d’Adam lui fait tendre le corps comme il le peut, battre des jambes mais Lyle est impossible à bouger.

Et puis, la lassitude revient. Elle envahit le cœur d’Adam comme une vieille amie et lui souffle d’abandonner. Qu’il n’a plus rien à faire ici, qu’il va souffrir et que c’est tellement plus facile de se laisser aller. Il a un sourire morbide adressé à son tueur, et les étoiles qui parsèment sa vision, signe qu’il s’étouffe, finissent par l’emporter dans une nuit noire. Il lâche son dernier souffle et son corps s’immobilise enfin, libéré de la vie qui l’a appesantit depuis vingt-trois ans.