¤ On me demande parfois ce que j'ai dans la tête. A quoi je pense. La vérité, c'est que mon esprit est un puzzle, encore incomplet. Certaines pièces sont encore sur le côté. Ce puzzle, ça fait maintenant cinq ans que je tente de le terminer. Résultat ? Je ne sais plus vraiment qui je suis. Je sais juste que je suis différente. J'aime penser que Ethel est née il y a cinq ans. Et que Brona a périt dans les flammes. J'essaie de coller le plus possible à ma nouvelle identité, de me fondre dans la peau d'Ethel MacKenzie. Quand j'ai pris son nom, j'ai réalisé que c'était une coquille vierge, qui n'attendais que d'être remplie.
¤ J'ai réappris avec le temps à faire confiance aux autres, à ne pas croire que tout le monde veut ma peau. Je suis de nouveau à l'aise au milieu des gens, enjouée, prête à faire des blagues. J'ai des amis, des connaissances. Des gens à voir. Une vie sociale. Je suis devenue très protectrice avec eux, mais aussi toujours à l'écoute. Je crois que je cherche désespérément à aider les gens. J'aime les gens, c'est tout. L'homme n'est-il pas un animal social ? Mais si il s'agit d'engagement, c'est une autre histoire. J'ai du mal à me livrer. Je refuse presque toute relation intime, car j'ai peur de raconter à un homme pourquoi mon dos porte de telles traces de brûlures. Quand ils ne reculent pas avec un air de dégoût... C'est trop dur.
¤ J'ai toujours refusé de m'enfermer dans le chagrin, de rester nostalgique, de ne faire que penser à mes proches disparus et à ma vie détruite. Je n'ai jamais cherché vengeance, elle ne me mènerai qu'à ma mort. Je veux laisser une trace, un héritage. Oh, bien sûr, j'ai des moments de vague à l'âme, où je me laisse aux larmes. Mais je dois vivre pour eux, ils vivront à travers moi, dans le sang qui coule dans mes veines. J'ai redécouvert des hobbies, des passions. Je me passionne pour les vieilles pierres, chargées de légendes, de Glencullen. J'arpente les ruines, seule, et le passé me parle, le vent m'écoute. Je me sens vivante. J'oublie la cicatrice qui tire dans mon dos. Je m'évade avec des films et des livres. Mais je n'aime rien de plus que chanter, une fois que je me sais seule, à plein poumon, dans les ruines ou sur les sentiers, et laisser le vent porter ma voix.
¤ En devenant Ethel, j'ai découvert que j'aimais de très nombreuses choses. Les séries policières, les jeux de société, les romans d'amour... J'ai parfois des lubies, des choses que je me mets à désirer plus que tout. J'ai économisé des années pour me payer une petite coccinelle jaune, que je conduis avec fierté. J'ai découvert les chats, absents de mon existence jusqu'alors. Je trompe ma solitude avec un matou gris un peu enveloppé. J'ai découvert la cuisine chinoise, la cuisine française... C'est en réalisant tout cela que je me dis que la vie que je mène est vraiment la mienne. Je décore mon appartement à ma guise, tous les six mois. Je bricole, je peint et je dessine sur mes murs... Il y a tant de choses à faire. Je n'ai plus le temps de regarder en arrière.
¤ Mais je n'oublie rien. Grandir au sein d'un clan, ou plutôt d'une meute, m'a dotée d'une grande intuition vis-à-vis du surnaturel. Je sais repérer certaines caractéristiques des loups et je sais différencier l'acier de l'argent. Je sais quoi faire lors des pleines lunes et je garde toujours sur moi un mini-arsenal en cas d'attaque composé d'aconit et d'un petit canif en argent. J'ai aussi appris quelques techniques de défenses, dès fois que ceux qui ont eu ma famille décident de venir finir le travail. Tout cela est dérisoire, mais cela me tranquillise. Mes parents m'ont dit de ne jamais oublier le sang qui coule dans mes veines. Je suis peut-être humaine, mais je sais tout ce que savais ma meute sur le surnaturel...