"We were born sick," you heard them say it
« Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Ou avec ... avec cette chose. » Il aurait fallût que tu sois bien idiot, pour ne pas comprendre que c'était toi cette chose qui semblait tant dégoûter ton propre géniteur. Ce petite garçon à l'épaisse chevelure brune et à l'apparence pathétique. Une peau pâle, translucide. Le réseau que formaient tes veines était parfaitement visible, même sur ton visage. Un fantôme. Une créature qui pesait à peine un tiers du poids qu'elle aurait du faire. Maigre, si maigre. Pas seulement mince ou émacié. Plutôt cadavérique, squelettique. Des jambes démesurées pour un torse minuscule. Tes côtés qui ressortaient tellement, ton diaphragme qui s'enfonçait en direction de tes poumons. Tes yeux noirs exorbités. Ta faiblesse permanente qui t'empêchait d'être scolarisé normalement. De faire autre chose que de rester allongé toute la journée. Pas d'amis. Pas de rires. Seulement des cris et des pleurs. Et une solitude prenante, dévorante. Une imagination débordante qui ne faisait que s'accroître à cause de cette pénombre permanente dans laquelle tu vivais.
« Oh non, s'il-te-plaît, reste, reste ... Je t'en supplie, je ne suis plus rien sans toi. Je vais mourir, Liam, si tu ne restes pas avec toi. Avec nous. » C'était ta faute. Ta faute si l'homme que ta mère aimait tant préférait prendre la fuite. Toi, l'abomination de la nature. Une véritable erreur. Déjà que tu n'avais pas le côté physique pour toi mais tu n'étais même pas un petit génie. Juste un petit garçon avec trop d'imagination. Qui n'ouvrait la bouche que deux à trois fois par jour. Mais, en vérité, tu ne savais pas quoi dire. Tu ne voulais pas décevoir, tu ne voulais pas proférer de bêtises. Alors, tu te taisais. Tu t'enveloppais dans ce silence sécurisant grâce auquel tu pensais que rien ne pourrait t'arriver.
« Rester avec toi ? Mais bon sang, Rachel, t'es aussi frappée que ce gamin ! J'aurais dû écouter les gens plus tôt, en ville, lorsqu'ils me parlaient de toi. Tu crois que tu parles à tes fantômes, faut être complètement dingue pour imaginer des trucs pareils. » Le regard plongé sur tes mains, tu tentais de focaliser ton attention ailleurs que sur cette énième dispute entre tes parents. Cinq ans, c'était trop jeune pour comprendre l'entier sens de leurs phrases. Cependant, tu devinais bien ce qui était en train de se jouer. De se dérouler. Ton père, déjà quasiment totalement absent voulait partir. Loin de vous. Après tout, il était tout à fait normal, pourquoi n'aurait-il pas le droit de posséder une femme qui ferait la cuisine au lieu de parler dans le vide ? Un fils avec qui il pourrait jouer au football, au lieu de devoir lui faire prendre des comprimés plusieurs fois par jour, afin de s'assurer que ses organes ne lâchent pas trop précipitamment.
« Mais c'est la vérité, je t'en supplie, crois-moi ! Je les entends vraiment. Et je peux même les voir, lorsqu'ils sont assez forts pour cela. Oh Liam, non, non, je t'en prie ... » Tu imaginais aisément qu'il avait dû attraper ses valises, à ce moment précis. Tu avais toujours plus ou moins su qu'une scène comme cela finirait par arriver, un jour ou l'autre. Tout comme tu savais deviner, à travers les trémolos et les pleurs de ta mère, que ta vie ne serait pas bien longue. Défaillance multiple. Aucune chance de guérison. Au moins ne serais-tu pas un fardeau pendant trop longtemps.
My church offers no absolutes
« Elle m'a dit que tu serais un sorcier, mon fils. » Tu tentas bien de t'échapper, de défaire les liens qui enserraient tes poignets et tes chevilles. Mais c'était peine perdue. Ils étaient trop serrés et tu étais faible. Toujours si faible. Absolument incapable de te défendre. Une vraie victime, à l'état pur. Tu n'aurais même pas été capable de résister à une forte bourrasque. Cadavre ambulant.
« Maman, je t'en supplie, non. » Depuis quelques mois, son seul sujet de conversation était ta prétendue destinée. Un être invisible qui, tu en étais persuadé, n'existait que dans sa tête, lui répétait que tu étais un sorcier. Que tu étais destiné à de grandes choses. Et que, afin que tu puisses accomplir ton destin, tu devais connecter à un élément. Après plusieurs échecs, ta mère voulait désormais voir si le feu serait ton élément. Cette puissance indomptable et vive, retorse et redoutable. Offensive. Tout ce que tu n'étais pas, en somme.
« J'ai mal, trop mal. S'il-te-plaît ... » Mais tu savais que supplier ne servirait à rien. Tu avais bien essayé de t'échapper, lorsqu'elle avait voulu découvrir si t'immerger dans une baignoire glacée aurait un quelconque effet. Mais tu avais chuté, ton crâne tapant lourdement sur le sol de la salle de bain. Et même cela, ça ne l'avait pas arrêté. Tu croyais pouvoir voir la folie briller dans ses yeux noisettes. Ses paroles n'avaient plus de sens et elle était devenue encore plus étrange qu'à l'accoutumée. Si tant est que ce fût possible. Pour la première fois, tu songeas que ton père avait peut-être eût raison de fuir.
« Je fais ça pour ton bien, mon bébé. » Les larmes se mirent à dévaler tes joues translucides. La peur, le fait de savoir que tu allais souffrir, encore une fois. Et ce sentiment de trahison amer, qui envahissait ta bouche. Tu avais toujours cru que ta mère serait ta plus indéfectible alliée. Qu'elle mourrait afin de te protéger. Mais finalement, tu découvrais que c'était elle ton bourreau. Pour apaiser les voix dans sa tête, qu'elle disait. Son exutoire, c'était de te faire du mal. Tu savais ce qui t'attendait. Après avoir été soumis à l'eau et à la terre, c'était le feu qui t'attendait. Elle allait t'immoler vivant. Et tu espérais, secrètement, y rester cette fois. Mourir. Cela semblait une bonne alternative à cette vie lamentable qui était la tienne.
« S'il-te-plaît ... » Lamentation à peine audible. Tu étais incapable de dire autre chose. Ton esprit embrouillé était inondé par la peur. Tu voyais à peine, au travers de ces larmes qui embrumaient ta vision. Ce fût la fumée, qui t'alerta en premier. Puis l'augmentation rapide de ta température corporelle. Et enfin seulement, la sensation de brûlure intense. Dévorante. Tu tentas bien d'hurler, mais le son resta coincé dans ta gorge. Tu avais mal, si mal. Ta peau qui se déchirait, cuisait sous l'effet du feu ardent. Les sous-couches de ton être mises à nues. Tes muscles qui se crispaient dans l'espoir de pouvoir se dégager. Impossible. Absolument impossible. Tu renversas ta tête en arrière, adressant une prière silencieuse à n'importe quelle divinité prête à t'entendre. Tu voulais que tout cela s'arrête. La douleur, cette histoire de tentative de connexion ou bien même ton existence, tu t'en fichais. Peu importait du moment que cela finissait.
Mon fils ... La voix de ta mère à travers les flammes, probablement. Eprouvait-elle du regret ? Tu l'espérais. Tu espérais que le remord finirait par la consumer.
Mon fils ... Et pourtant, ce timbre de voix n'appartenait pas à ta génitrice. Douce et sensuelle, elle contrastait grandement avec la voix rauque de ta figure maternelle. C'est alors que tu te rendis compte que la douleur avait reflué. Ouvrant les yeux à contre-coeur, tu eus la surprise de découvrir que le feu continuait tout de même à ravager tes vêtements. Mais ta peau ne semblait pas en souffrir. Ne semblait plus en souffrir.
« La connexion ... » Mon fils ... Le feu était ton ami, pénétrait ton âme et ton corps, comme pour devenir une nouvelle partie de toi. Il t'insufflait la force, l'énergie. La rage, la combativité. Il te faisait devenir plus fort, plus puissant. Un véritable homme. Et si, finalement, les dires de ta mère s'avéraient être vrais, alors tu serais capable de te défendre à l'avenir. Mieux encore : d'attaquer en premier.
Mon fils ... Tu hurlas, à t'en déchirer les poumons, ordonnant en quelque sorte à ce feu de consumer tes liens. De te libérer.
Mon fils ... Tu te redressas, de toute ta hauteur. Tes jambes ne tremblaient plus sous toi. Tu pouvais respirer librement, ton coeur semblait battre à un rythme normal. Alors c'était ça, d'être véritablement humain ? De posséder toutes ses capacités et de pouvoir faire ce que bon te semblait ? C'était bon, divinement bon. Enfin normal. Soupir de soulagement. Une nouvelle vie s'ouvrait à toi, désormais.
it's dark inside it's where my demons hide
Il faisait sombre et tu trébuchais à intervalles réguliers. Faible, comme avant mais pas parce que ton corps te lâchait. Oh que non. Faible car la faim te tiraillait de l'intérieur. Tu avais été incapable de manger, depuis deux jours, désormais, à l'idée de ce que tu allais devoir faire, en cette première nuit de pleine lune suite à ton accession au rang de sorcier.
Tout va bien se passer mon fils, c'est dans ta nature désormais. Tu hochas la tête pour toute réponse à cette voix, qui résonnait perpétuellement sous ton crâne. C'était celle de ta Mère. Pas de celle qui t'avait mise au monde, mais celle de cette divinité qui, cette nuit où tu croyais que tu allais mourir, t'avait sauvé. La Lune. Cet astre divin qui gardait toujours un oeil sur toi, tes frères et tes soeurs. Ces nouvelles personnes que ta transformation t'avait donné. Tu n'étais plus seul, désormais. Du moins, plus tout à fait. Car si tu avais croisé plusieurs d'entre eux, tu n'avais cependant pas l'envie d'apprendre à les connaître plus que cela. Après tout, tu avais été un loup solitaire durant les quinze premières années de ta vie. Sympathiser était une chose qui t'était totalement inconnue. Tu préférais errer seul, te familiariser avec ce nouvel état qui était désormais le tien. Pouvoir maîtriser les éléments, quitter ton état de victime pour devenir un prédateur. Marcher des heures sans te fatiguer, sentir les regards appréciateurs des femmes glisser sur ta silhouette. Les gens ne te connaissaient pas, après tout, tu avais passé toute ton enfance cloîtré dans ta chambre. Mais ils te regardaient étrangement, à cause de ton nom famille. Celui de ta mère, puisque ton père n'avait jamais réellement voulu de toi. Tu travaillais pour le moment dans le petit Books & Coffee de la ville, afin de survivre. Tu n'allais pas hériter de beaucoup, après la disparition de ta mère. Tu le savais. La maison et quelques centaines euros. Rien de plus. De toute façon, tu n'avais jamais été spécialement attiré par l'argent.
Il est temps désormais, Lyle. Oui, tu allais obéir. Même si cela te terrifiait. Tu avais promis à cette nouvelle Mère de répondre à tout ses désirs. Tu serais son esclave éternel, son plus fidèle serviteur. Elle t'avait offert une seconde chance, tu comptais bien l'en remercier. C'était pour cela que tu allais effectuer ton premier sacrifice humain, cette nuit. Tracer un pentacle, appeler les éléments à toi et balbutier dans une langue que tu ne maîtrisais que moyennement, pour le moment. Tu allais honorer La Lune ainsi que son amant : La Mort. Tu allais donner la mort, pour la première fois. Avoir du sang sur les doigts, trancher la chair. Excitation et crainte se mêlaient habilement dans ton âme. Et pour cette première pleine lune, tu trouvais le choix de ta victime parfaitement appropriée. Tu l'avais capturée, quelques heures auparavant et attachée près du lieu où tu comptais verser son sang.
« S'il-te-plaît Lyle, non, je t'en supplie ... » Un rictus mauvais étira tes lèvres tandis que la soif de vengeance se déversait en toi. Tu avais souffert, vécu en reclus. Tu avais eu une enfance désastreuse. Quelqu'un devait payer pour cela.
« Voyons maman, n'oublie pas que c'est ma destinée. »we are the cursed ones, the story's villains
La solitude s'était enfin retirée de ta vie, depuis quelques jours. Depuis que tu l'avais trouvé, complètement perdu alors qu'il connectait avec son élément. Le même que le tien. Un petit sorcier, sans repères. L'occasion rêvée de te trouver un compagnon, une personne avec qui tu pourrais être absolument toi-même. Tu pourrais lui apprendre tout ce que tu savais, prendre soin de lui afin qu'il accepte de rester avec toi. Comme un gentil animal de compagnie. Il était étrange, bien que différent de toi. Tu avais eu bien du mal à entamer la conversation, sans passer pour un échappé de l'asile. Tu ne voulais pas lui faire peur, mais l'excitation de ne plus te retrouver seul était insoutenable et te faisait délirer. Heureusement, Cilian n'avait pas semblé s'en formaliser. Peut-être parce qu'il était un peu bizarre, à sa façon. Vous étiez faits pour vous entendre. D'ailleurs, rapidement, une sorte de lien s'était crée entre vous. Ce n'était pas de l'amitié, ni de la fraternité. Mais quelque chose de plus profond, de plus solide. Un lien taillé dans la nuit et le sang, la lutte et le pouvoir. Il avait vécu la même chose que toi, cette renaissance formidable. Il était le fils de Lune et de la Mort, juste comme toi. Il pouvait tout comprendre, tout entendre. Il ne te jugeait pas lorsque tu déchaînais les éléments car éperdu de peine ou de colère. Il ne te jugeait pas lorsque tu léchais tes doigts couverts de sang, après les sacrifices. Il ne te jugeait pas lorsque tu parlais seul, à voix haute. Il ne te jugeait pas alors même que tu étais incapable de te lier avec les humains lambda. Il ne te jugeait pas lorsque tu évoquais les noires pensées qui jalonnaient ton âme. Et c'était agréable. Diablement appréciable, même. Et bien que Cillian ne partageait pas cette dévotion incommensurable que tu vouais à la Lune, il se faisait pourtant un plaisir de sacrifier une vie humaine, à chaque pleine lune. D'ailleurs, vous aviez pris l'habitude de faire ce rituel ensemble. Comme tout le reste. Vous psalmodiez en même temps, mus par une complicité et liaison d'âme hors-normes. Vous chassiez vos proies ensembles, aussi. Narguiez les chasseurs et vous échappiez de la traque des loups. Il réussissait même à t'arracher quelques éclats de rire, parfois. A rallumer quelque peu cette flamme d'humanité qui s'était progressivement éteinte dans ton coeur, lors de ta jeunesse.
i can't drown my demons, they know how to swin
Le sang qui coulait le long de tes doigts pâles comme la mort. Le goût métallique qui restait sur ta langue. L'odeur de la mort qui emplissait tes narines. Et cette pauvre fille qui n'était plus qu'un cadavre, désormais. Vidée de son sang sous l'impulsion d'une sorte de sorcier fanatique. Étendue au beau milieu d'un pentacle, sur une parcelle de terre bien trop rougie par le sang de tes précédentes victimes. Tu songeas qu'elle avait dû être belle durant sa vie, très belle même. Les personnes ayant eu une jolie existence avaient toujours un sang particulièrement goûteux, selon toi. Et cette jeune femme, à qui tu venais d'ôter la vie, avait une saveur incroyable. Tu espérais qu'il en serait de même avec la suivante. Ton regard se porta alors sur ta prochaine victime. La presque parfaite réplique de la précédente. Longs cheveux brillants, traits bien dessinés et corps athlétique. Ces femmes rentraient parfaitement dans la description de créatures attirantes et semblant normales en tout point. Tout ce que ta mère n'était pas. Peut-être que tu faisais payer ces femmes d'avoir à ce point exclu ta mère. Tu ne savais pas. Tes actes ne trouvaient pas souvent un sens à tes yeux. Ni à ceux du reste du monde, en réalité.
« Ca ne te fera pas mal. Ou pas très longtemps, du moins. » Sourire carnassier. Absolument pas rassurant. Il fallait dire que ton attitude en général n'était pas pour inspirer la confiance. Tu te comportais toujours de façon si étrange. Un esprit brisé, un cerveau enclin à l'étrangeté et le tout, enfermé dans un corps désormais si plaisant à l'oeil. Autrefois, ton extérieur était en adéquation avec la nature de ton âme. Tu avais l'impression de ressentir un étrange décalage, parfois. Pourtant, ta Mère t'avait susurré que ce n'était rien. Que tu ne devais pas y prêter attention.
« Pourquoi ... Pourquoi vous nous faites ça? » Et elle pleurait, la petite humaine. Elle se demandait ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter une telle fin. Pour se retrouver dans la position de victime d'un psychopathe. Ah, si seulement elle connaissait la vérité. Si seulement elle savait que son expiration était un remerciement, une offrande aux deux divinités t'ayant donné la vie.
« Je le fais pour ma Mère. Pour mon Père. Pour les remercier. Ton énergie et ton âme serviront d'offrandes. Alors, tu vois, il ne faut pas être triste. » Prendre des vies n'est pas mal, selon toi. Pas comme ça, en tout cas. Mais les autres ne comprendraient pas. Ils ne comprennaient jamais rien, de toute façon. La seule personne capable de donner un sens à ton charabia était cette petite créature blonde que tu avais sauvé, bien des années auparavant. Non, les autres préfèraient te jeter des coups d'oeils amusés ou effarés lorsque tu te mettais à converser seul - mais en apparences seulement. Ils t'évitaient parce qu'ils disaient que tu appartenais à un autre monde - et ils n'avaient même pas idée d'à quel point ils avaient raison. Et s'ils t'adressaient tout de même la parole, c'était pour se servir de toi. Car tu semblais attirer certaines personnes, irrémédiablement. Sans que ce soit volontaire, cependant. La solitude ne te posait aucuns problèmes. Allons, il était temps d'arrêter de penser pour passer à l'acte. Invoquant la magie élémentaire du feu, tu enflammas le cadavre de ta première offrande avant de tirer la deuxième, sans ménagements, jusqu'au centre du pentacle. Tu fermas les yeux, cherchant à maintenir une connexion aussi forte que possible avec l'astre brillant haut, juste au-dessus de toi. Et puis, tes lèvres se mirent à psalmodier, grâce à une habitude bien ancrée en toi. Ta dague vint rencontrer la chair tendre de la brune, laissant éclater une gerbe de sang.
Le sang qui coulait le long de tes doigts pâles comme la mort. Le goût métallique qui restait sur ta langue. L'odeur de la mort qui emplissait tes narines. Encore et toujours.
I crave physical affection. I crave skin on skin
Elle était belle, si belle. Avec cette aura qui entourait toute sa personne, qui t'attirait irrémédiablement, sans que tu puisses rien y faire. Un papillon pris au piège de la lumière. Tu la regardais, inlassablement. Ses yeux rieurs, ses cheveux blonds qui captaient la lumière. Ses dents étincelantes qui surgissaient lorsqu'elle riait, encore et encore. Un véritable ange, à n'en pas douter. La plus délicieuse humaine qu'il t'ait été donné de voir, depuis ... Toujours, en réalité. Personne ne t'avait jamais fais un tel effet. Tu étais comme fasciné. Et pourtant, incapable de l'approcher. Pour lui dire quoi ? Divaguer ou balbutier ? Pour finalement te rendre compte que l'ange était un suppôt de Satan, capable de te rire au nez et de se moquer de toi sans vergogne. Alors tu te contentais de l'observer, depuis le coin sombre dans lequel tu étais caché. Tu t'étais réfugié dans ce bar miteux par crainte d'une énième soirée de solitude, passée à converser avec une voix qui n'existait que dans ton esprit. Tu t'étais habitué à une présence autour de toi, avec Cilian. Mais avec son départ, le retour à la réalité n'était que plus difficile. Cependant, tu allais devoir t'y accoutumer de nouveau. Tu savais que tu n'avais pas le choix. Personne ne voulait devenir ami avec une étrange créature comme toi. Les filles se contentaient de te lorgner sans t'aborder. Les garçons te méprisaient de loin.
Ce serait un honneur pour moi que tu sacrifies cette jeune femme, lors de la prochaine pleine lune. Cette voix douce et mielleuse, cette voix qui t'avait tant rassuré lors de tes nuits de terreurs, de tes errances solitaires. Cette voix qui te guidait depuis bien des années, désormais. Celle de ta mère. Celle à qui tu ne pouvais rien refuser, jamais. Tu obéissais docilement, comme un chien, à chaque ordre. Mais, lorsque le regard de cette fragile humaine croisa le tien, tu sentis une partie morte de ta personne revenir à la vie. Une partie sur la gauche de ton thorax. Un organe brisé et maltraité, éteint depuis bien longtemps.
≈ ≈ ≈« Tu me regardes toute la soirée et quand je suis en face de toi, tu ne me décoches pas un mot ? » Effrontée, la petite. Cavalière, aventurière. Si seulement elle savait dans quoi elle se lançait. A qui elle adressait la parole. Un homme tout droit sorti de ses pires cauchemars. Une créature manipulant le feu et offrant des sacrifices humains à chaque fois que la lune brillait pleinement dans la voûte céleste.
« Tu sais que t'es bizarre, comme type ? » Tu ricanas silencieusement, la pauvre n'avait pas idée à quel point elle disait vrai. Tes yeux étaient rivés à cette aura palpitant autour d'elle. D'une couleur intense et enivrante. Tu étais certain que tu pourrais passer des heures à regarder son aura, sans te lasser. Cependant, tu n'étais pas certain que la jolie blonde apprécierait. Ou alors, peut-être pourrais-tu la forcer. La prendre dès maintenant pour ne la sacrifier que dans douze jours, cependant. Oui, ce pouvait être une bonne idée. Après tout, il n'y avait rien de mal à cela. La retirer à la vie active un peu avant n'allait pas changer les choses. Elle devait mourir. Ta mère te l'avait ordonné. Tu te devais d'obéir. Et pourtant, il y avait quelque chose, au fond de toi, qui te disait que peut-être, pour une fois, tu pourrais agir autrement. Tu pourrais garder l'humaine pour toi. Sans Cilian, la maison était bien vide. Elle pourrait te tenir compagnie.
« Je m'appelle Alexa. » Elle t'adressa un petit sourire, avant de faire s'entrechoquer son verre avec le tien.
« Lyle. » Le plus joli animal de compagnie dont on pouvait rêver. Rien que pour toi. Bien que craintif et solitaire, tu ressentais désormais pleinement l'envie de sentir un corps contre le tien. Des doigts qui courraient sur ta peau. Des lèvres qui viendraient effleurer les tiennes. Tendresse, c'était ce que tu voulais. Ce que tu n'avais jamais obtenu.
« Ravi de te rencontrer, Lyle. » « Tu ne devrais pas, pourtant, soufflas-tu de façon à peine audible. »i'll workship like a dog at the shrine of your lies
Je la veux, Lyle. Offre-la moi lors de la prochaine pleine lune. Je l'exige. La tête entre les mains, tu tentais de faire taire cette voix que tu adorais entendre, d'ordinaire.
JE LA VEUX ! La prochaine nuit du sacrifice arrivait à grand pas et tu allais bientôt devoir mettre la main sur ta prochaine offrande. Une femme aux airs parfaits, comme toujours. Ou un homme ressemblant, de près ou de loin, à ce géniteur qui t'avait lâchement abandonné à cause de ta différence. Mais ta nouvelle Mère avait visiblement décidé de l'identité de ta victime. Cette même blonde qui hantait désormais tes pensées, pour des raisons que tu ne comprenais pas. Tu ne la connaissais pas, elle était humaine et devait pas mal se ficher de ta personne. Et pourtant, contre toute rationalité, son image ne cessait de surgir dans ton esprit. Tu la revoyais te sourire et ton imagination s'emballait alors rapidement.
Tu es mon fils, tu te dois de m'obéir. Tu avais toujours été le plus loyal soldat de la Lune, que ces voix dans ta tête soient réelles ou non. Mais cette fois, et pour la première fois, tu doutais d'être capable d'accomplir ce qu'elle te demandait. Tuer Alexa, lui trancher la gorge et avoir le goût métallique de son sang sur tes lèvres. Non, tu ne pouvais pas. Tu le savais. Tu le sentais.
« Pardon, Mère, pardon ... » Assis au centre de ta sombre chambre, tu te balançais d'avant en arrière, les mains sur tes oreilles. Débraillé, encore vêtu de vieux vêtements, tu faisais peine à voir. Ou peur, plutôt. Lyle le fou semblait être de retour.
« Pitié, je ferais tout ce que tu demandes, tout, oui absolument tout ... Mais pas ça. Pas elle, non ... » Mais lui résister était difficile, si difficile. Finalement, tu te levas, les yeux vitreux. L'appel était trop fort. Tu t'engouffras dans la nuit, directement en direction de la demeure des Faulkner. Tu avais plus ou moins suivi Alexa, des derniers jours. Toujours dans l'ombre, prenant garde à ce que personne ne t'aperçoive. Tu l'avais aperçue allant en cours, travaillant et sortant avec ses amis. S'amuser, rire et flirter sans vergogne. Tout ce que tu étais incapable de faire, en somme. Appelant l'air à toi, tandis que tes lèvres bougeaient sans émettre de son. Tu te propulsas jusqu'à la chambre de la jeune fille, t'introduisant à l'intérieur grâce à la fenêtre laissée entrouverte. Les cheveux éparpillés autour de son visage, elle ressemblait plus que jamais à un ange. Tu glissas silencieusement jusqu'à elle, posant ta main sur bouche afin qu'elle ne puisse pas crier.
« Chut, n'ais pas peur. » Ses yeux s'agrandirent d'effroi, l'espace de quelques instants. Et puis, tu l'entendis rire tandis que ses doigts agrippaient ton poignet, afin que sa bouche puisse retrouver sa liberté.
« Lyle ? Je peux te demander ce que tu fais dans ma chambre, au beau milieu de la nuit ? » Le pire étant qu'elle ne semblait pas franchement effrayée. Plutôt ... amusée. Elle se redressa, révélant de larges parcelles de sa peau blanche. Divine.
« T'as pas peur ? » Elle rigola, se mit sur les genoux, se rapprochant ainsi un peu plus de toi. Tu étais assis près d'elle, si près. En avançant ta main, ne serait-ce que de quelques centimètres, tu pourrais caresser sa peau de satin. Sentir son coeur battre sous tes doigts. Son aura crépitait doucement, autour d'elle, presque pâle cette fois.
« Tu ne m'effraies pas, Lyle. T'es probablement le mec le plus ... bizarre que j'ai jamais rencontré, mais tu n'es pas méchant. Je le sais. » Dieu qu'elle se trompait et elle n'avait même pas idée à quel point. Tu étais le mauvais garçon de l'histoire, la créature. La bête qui capturait la princesse et se faisait tuer par le chevalier l'inverse. Pas l'inverse.
« En plus, t'es plutôt pas mal, tu sais. » Tu ricanas mauvaisement, tandis qu'elle plantait ses pupilles dans les tiennes. Toujours sans crainte, elle s'approcha de nouveau un peu plus de toi, avant de lever sa main en direction de ton visage. Tu te figeas, tandis que ses doigts venaient se poser délicatement sur ta joue. Aussitôt, un long frisson remonta le long de ta colonne vertébrale, tandis que ta peau s'embrasait au contact de celle d'Alexa. Ton palpitant s'accéléra, tandis qu'une chaleur immense s’emparait de ton être. Comme lorsque tu avais cru brûler, des années auparavant.
« Tu te trompes, Alexa. Et je vais te le prouver dès ce soir. »