I. ✗ Enat, c'est le cynisme incarné. La gueule pleine de fiel et la caboche malmenée par le passé. À l'envers. Psyché brisée, recollée par une résilience à toutes épreuves. Elle raille presque tout. Elle a cette allure, ces airs suffisants du je-m'en-foutiste que tout blase et tout ennui ; et pourtant les prunelles si vives et le rictus toujours fiché au coin de ses lèvres charnues, que seule une ironie macabre semble délier. Scindée entre la vie et la mort, entre son Père et sa Mère, instable à faire cramer des villes entières. C'est une putain de connasse à l'allure suicidaire. Aux élans sadiques. Aux promesses mensongères. Aux charmes manipulateurs. Puis, le contraste ; c'est aussi une grande gamine qui prend le monde pour son terrain de jeu, et dont les iris ont ce petit truc désarmant. Y'a comme une innocence et une candeur au fond, et c'est étrange. C'est étrange pour cette grande gueule qui s'est convaincue de n'avoir peur de rien, mais qui a la trouille des chasseurs et des loups. La prudence lui tord les boyaux, et les regrets l'assaillent. Qu'est-ce qu'elle a pu être abrutie par le passé...

II. ✗ Il y aussi ces penchants dégueulasses pour le sang, cette triste inclinaison pour le chaos et la mort. Enat assume tout, même si elle tait cette soif pour continuer d'arpenter sereinement les rues et trouver ses victimes. Tout se fait au hasard ; le premier qui mord à l'hameçon  se retrouve sur l'autel, et son sang sur ses doigts – qu'elle lèche avec une sensualité quasi-dérangeante. Son esprit libre ne se rattache à aucun Cercle ; la puissance a son importance, mais rien ne vaut l'évasion.

III. ✗ Cibiche éternelle au bord des lèvres, qu'elle se plait à allumer avec son élément. Doigts négligemment enroulés autour, longs regards obliques à travers la fumée. De l'autre main, son Zippo claque pour faire diversion, et la flamme s'allume et s'éteint. C'est une manie.

IV. ✗ Aussi loin que remonte cette soirée, Enat se remémore toujours ses mains découpées sur l'éclat des flammes et son corps revigoré par la chaleur de l'âtre. Ses yeux grands ouverts miroitaient une sérénité intense ; et, pendant près d'un quart d'heure, la gamine jacteuse s'est muée en pantin mutique, le corps parcouru de doux frissons et plongé dans une torpeur captivante. C'était une révélation. Ses minables parents ne pouvaient être les siens. Sa haine s'est vu atteindre son paroxysme au premier appel de la lune où, retenue dans sa chambre en guise de punition, son corps ne devint plus qu'une carcasse bonne à gerber. Et lorsque les doutes l'assaillent quant à son ascendance, Enat se rassure. Ces crétins ont mérité leur sort. Ils ne pouvaient avoir donné naissance à l'autoproclamée fille du feu. Fille des cendres, ouais.

V. ✗ Le salut à seize ans. Enat a sorti une cigarette lorsque les flammes vinrent lécher leurs corps. Ils se sont mis à faire une petite gigue, violemment ballottés par la douleur et la gorge cambrée par leurs hurlements hystériques. Leurs suppliques montaient, et Enat, au comble de la folie, vint croiser ses pieds sur la table, expulsant calmement une bouffée vers le toit rongé par le brasier. « Encore une interdiction bravée » pensa-t-elle. Un gloussement dément la secoua. Lorsque les sirènes des pompiers retentirent dans la rue, elle avait déjà plongé ses mains dans la cendre pour s'en barbouiller, les vêtements noircis et dévorés à certains endroits. Son nez s'était froncé, ses sourcils tordus ; ses cils avaient longuement papillonné puis, les larmes étaient tombées en creusant des sillons sur ses joues salies. Sa silhouette avait titubé jusque sur le perron ; un homme l'avait prise par les épaules pour l'éloigner du feu et, entre deux quintes de toux, elle avait murmuré qu'elle s'appelait Enat. Feu, en celte. Au revoir, Faith.