Un temps pourri. Le réveil lourd. Le crâne qui martelait comme depuis les quelques transformations qu'il avait subi. C'était un fait perturbant mais il commençait à s'y faire. Il ne pourrait échapper à ce qu'il était devenu. Contraint et forcé, mais aussi ouvert à de nouvelles visions des choses. C'était lentement mais sûrement que le loup dans la fleur de l'âge redécouvrait cet endroit qu'il avait su sien depuis la naissance, cette région gigantesque sauvage qu'il foulait depuis toujours, jusqu'à y être ancré ad vitam eternam. Avec cette traitresse et sa morsure, il avait fusionné cet endroit, plus encore avec ce ranch maintenant qu'il commençait à percevoir comme son territoire sans même s'en rendre compte. Mais même s'il s'était enfermé cette nuit là, il savait dur comme chef qu'un jour, il tuerait. Un jour son instinct de domination exploserait et il planterait ses crocs. Le plus tard serait le mieux. Assis sur le capot de son pick-up gris rouillé, un bagnole qu'on lui avait soldé pour une bouchée de pain, il finissait d'avaler son café. Plus de clopes. La transformation lui avait au moins ôter une ou deux conneries du sang. Un mal pour un maigre bien, mais que pouvait-il faire d'autre que d'y chercher un semblant de positif dans tout ce merdier. On l'avait déjà chassé. On l'avait traqué, et on l'avait perdu. Plus encore que les gros loups massifs, Beau sous forme animal connaissait les lieux, chaque odeur, chaque passage, chaque piège, et semait ses poursuivants avec rapidité, se dissimulant dans l'ombre. Quand on est un gabarit moindre, on ne cherche pas à bâtir pyramide ou voilier de conquête. On se contente d'une barque solide et insondable. En parlant d'embarquement, il était temps qu'il décolle son cul de son capot pour aller faire un tour dans la propriété gigantesque des Mc Farrel. A coup sûr que ces foutus chasseurs et autres petits malins qui pètent des arc en ciel et balance du feu ou il ne savait encore quel élément de leurs mains ou de leurs oreilles, avaient fait des trous dans leurs clôtures ou foutu du sang dans les sous bois. On ne parle pas des loups enragés, dont certaines meutes se foutaient bien de blesser des humains ou non. Il avait déjà sauvé la peau d'une humaine en plein jour face à un gros lourdaud qu'il n'avait rien trouvé de mieux pour compenser son manque de femelle, que de se rabattre sur une adolescente humaine... Grâce à lui, Beau avait pour la première fois fait sorti une part de son don...

Les minutes s'étalent comme la route sous ses pneus, tantôt boueuse, tantôt rugueuse et usée. Au fin fond de l'Irlande, faut pas s'attendre à du grand art en matière de travaux routiers. Et Callan avait autre chose à foutre que de reboucher toutes les ornières dans les bois. C'était de son ressort ça. De toute façon, depuis que Beau avait osé s'envoyer sa femme, erreur gigantissime, il le reconnaissait, il écopait de toutes les taches plus merdiques les unes que les autres. Le pick-up se gare dans un coin de bois et il descend, prenant avec une longue parka. Il se met à pleuvoir, et forcément après une nuit de mars à cette latitude, faut pas s'attendre à ce qu'elle soit chaude. Il attrape une hache, un énorme keffieh bleu clair qu'il se passe au cou, tenaille et fil de fer, et s'enfonce dans les sous bois, dans l'optique de longer les clôtures, et rafistoler les prodiges de ces fous furieux.

Godillots lourds, jean classique, tee shirt à manches longues noir. Le temps passe, il est tout de même très tôt. Mais s'il ne va pas bosser à l'aube, c'est Callan qui le balance à coup de pied au cul dans le purin des chevaux, alors autant lui éviter ce fardeau... ou plutôt son cul. Il veut pour noué un barbelé... quand une odeur lui vient avec le vent. Il renifle l'air... plisse les yeux et se retourne. Une femelle? Ici? Toute seule? Il choppe sa hache, dans le doute, ne sachant pas ce qu'il va trouver, et lâche la clôture pour s'enfoncer dans les bois... Une tache pâle finit par se distinguer entre les troncs et il fait quand même gaffe, observant autour de lui. Il ne sent autant mal... ne voit rien de suspect dans les buissons près à lui foutre une flèche dans le cul. Ok R.A.S. Il s'avance lentement, mais finit par lever la main en signe de paix, et poser la hache au sol, pour prouver qu'il ne lui veut aucun mal. Est-il choqué de trouver une fille nu dans la forêt? Pas vraiment. Et pour cause, ça lui a fait la même chose. Enfin, c'était dans un potager avec la carabine d'un vieux sous la gorge parce qu'il venait de bouffer ses poules mais ça compte non? Il vire rapidement sa parka chaude, et s'approche.

"Tiens, prends..."
Il lui ajuste un peu sur les épaules et ferme le linge. Jolie demoiselle. Il s'accroupit devant elle, gardant la hâche pas loin et l'observe , poussant un peu ses mèches éparses de la main, pour lui donner un peu moins sauvageon.
"T'es pas blessé , ça va? C'est ta première fois?"

Inutile de la brusquer. Beau n'était pas du genre à paniquer. Il avait déjà beaucoup vu en manière de situations insolites. Quand on a vécu dans la rue et qu'on est devenu un espèce de mutant bizarre, plus rien ne vous choque. "C'est quoi ton nom."