Il n'aurait jamais du rester. Il aurait du partir quand il le pouvait encore. Au lieu de quoi, il était resté. Pourquoi ? A quoi bon ? Quel était donc je jeu malsain auquel il jouait ? Ce jeu malsain qui ne ferait qu'empirer les choses, qu'envenimer la situation. Au fond, le seul qu'il risquait de blesser dans cette histoire, c'était l'autre. Son compagnon d'une nuit, et parfois même de plusieurs. Leurs ébats sous les draps, et leurs baisers volés. Des nuits furtives, au gré des envies, sans jamais que ça n'aille plus loin. Aucune émotion, aucun sentiment. Juste le plaisir de deux corps qui s'enlacent et se caressent. Douces étreintes fugaces, éphémères. Ils l'avaient tous les deux voulu ainsi, et Thaddeus ne voulait en rien déroger aux règles et aux limites qu'il s'était imposé. Simple mascarade destiné à combler l'ennui et à donner sens aux besoins et aux envies de la chair. Rien de plus, rien de moins. Pourtant, il s'était montré faible cette nuit-là, il avait cédé. Une seule fois. La fois de trop, sans doute. Mais il s'en moquait. Le mal était fait, après tout. Il n'avait de cesse de fuir depuis dix ans, et il était fatigué, éreinté de courir tel un lâche. Non, il ne ressentait rien. Une simple quiétude à être si près de son compagnon sans doute. La chaleur de son corps près du sien. Il s'en voulait, parfois. De ne rien ressentir de plus. Et puis parfois, rien. Et il continuait cette mascarade, parce qu'il y trouvait du réconfort.

Mais la réalité finit toujours par nous rattraper.  Il s'était endormi, profondément, paisiblement assoupi entre les bras de Morphée, ne voulant en aucun cas quitter cette paix qui l'entourait. Le souffle chaud de son compagnon lui chatouillait la peau, douces caresses enflammées le long de sa nuque. Il ouvrit les yeux, qui vinrent se poser sur Eridan, tout sourire. Son coeur se tordit, noeud de culpabilité. Il se voilait la face et se nourrissait de faux semblants. Thaddeus s'en voudrait de venir briser ce rêve. Pourtant il n'avait pas le choix. Rester plus longtemps serait le faire espérer, pour mieux lui briser le coeur par la suite. Thaddeus n'était pas aveugle. Il voyait bien dans les yeux de l'autre, ces sentiments nouveaux. Et ça lui faisait peur. Parce que lui, son coeur ne trahissait aucune émotion. Seulement des battements, réguliers, et continus. Mais n'osant pas, il céda. Un sourire prit place sur ses lippes, et il ne fuya pas, bien que son cerveau le lui intimait l'ordre très véhément, et sans sommation aucune. Salut, toi. Deux mots, simples. Il ne voulait pas, ne pouvait pas, risquer plus que cela. Ce serait bien trop dangereux. Et pourtant, leurs corps nus l'un contre l'autre, Thaddeus était tiraillé entre cette envie de fuir, et celle de rester. Que faire, en cet instant, si ce n'est prétendre ? Prétendre et jouer le jeu, quitte à semer souffrance dans son sillage par la suite. Un baiser, innocent, simple, sur la joue de l'autre, comme pour se convaincre à tous les deux que tout ça n'est rien de plus qu'un jeu. Un jeu innocent, sans séquelles. Quelle connerie. Bien dormi ?

En cet instant même, son instinct lui hurlait de fuir et de ne jamais revenir. Mais pour aller où ? Il était chez lui, après tout, et il était las de partir comme un voleur, laissant son partenaire à l'abandon de rêves et d'espoirs éphémères. Etait-ce pour ça qu'il avait cédé ? Qu'il avait laissé ouvert les portes de son antre, tout en refusant les clés de son coeur à l'autre ? Sans doute. Il n'aurait su dire, en réalité. Il n'avait encore jamais laissé qui que ce soit franchir le seuil de son appartement. Pudique, volage, ombre qui s'évanouit une fois le soleil levé. Une part de mystère drapée dans de la curiosité mortelle. Il fuyait les responsabilités, préférant butiner chez les autres, et s'enfermant à double-tour derrières les portes de son coeur, sa forteresse, impénétrable. Mais voilà. Tout à une fin. Quelqu'un d'autre s'était immiscé dans cette sphère qu'il voulait privée, intime, refusée.  Et il s'était fait piégé en conséquence. Il ne s'agissait pas d'amour. L'amour était surfait à ses yeux. Imparfait, caduc, désuet. Il n'y croyait pas, plus. Avait cessé d'y croire il y a bien longtemps. Non, ce n'était pas d'amour qu'il s'agissait. Du moins, pas pour lui. On l'avait simplement privé de ses repères. On l'avait violé dans son intimité, et désormais il était perdu. Sans plan de secours.

L'autre semblait partager cette gêne, ce malaise qui les atteignait. Il se rhabilla en hâte, pressé d'en finir, de partir ? Les rôles étaient inversés, il semblerait. Thaddeus trouvait la situation risible et triste. Comment en étaient-ils arrivés à ce stade-là ? A ne plus pouvoir se regarder dans les yeux sans que la peur s'immisce ? C'était plus simple autrefois. Des murmures et des baisers aux creux de la nuque, lorsque la nuit se glisse sur le monde. Et la promesse d'une absence hâtive lorsque le soleil reprend sa place en maître dans le ciel. Aucune gêne, aucun quiproquo. Juste du plaisir. Rien de plus, rien de moins. Quand avaient-ils franchi la ligne dangereuse ? Thaddeus n'en savait rien, et il ne voulait pas le savoir. Il souhaitait seulement que les choses redeviennent comme avant. Le sorcier, lui, resta nu, enchevêtré dans les draps, sans même prendre la peine de se lever. Un soupir s'échappa de ses lèvres. Lassitude. Je crois que c'est nécessaire, en effet.

Devait-il chasser son compagnon d'ébats ? Devait-il le laisser espérer encore ? Ou devait-il simplement lui briser le coeur ? Trois options s'offraient à lui, et seulement lui semblait invraisemblable, impossible. Il n'aimait pas s'attarder sur la chose. Même si l'autre devait en souffrir. Tu sais bien qu'il n'y aura jamais rien d'autre, n'est-ce pas ? Sa voix était vide de toute émotion. Il n'avait pas le choix. Thaddeus ne voulait pas jouer le rôle du connard dans l'histoire, mais c'était se protéger lui, et Eridan, d'agir ainsi. L'amour était futile, fragile. Thaddeus n'en voulait pas. N'en voudrait probablement jamais. Et il était cruel de jouer avec les sentiments d'un autre, lorsqu'il n'y a rien de plus que du platonique entre eux. L'amour, il ne connait pas. L'amour à sens unique, encore moins.