situation une : le rituel.
L'obscurité pose son voile, mais le reflet de la lune sur la rivière éclaire cette rive, loin de toute civilisation, plongée dans une certaine tranquillité. Un parfum d'encens embaume peu à peu l'air, de légères lumières tremblotantes s'extirpent des ténèbres, formant un dessin dans cette herbe fraîche. Lentement, d'un pas las, solennel, je marche, bâtons d'encens coincés entre les paumes de mes mains, traçant le pentacle qui allait me permettre de prouver l'amour que je lui porte, mon respect. Je lève brièvement les yeux vers elle, elle est magnifique, brillante, et imposante. Les bâtons arrivent à leur fin, je les laisse se consumer jusqu'au bout. Peu à peu je ressens son pouvoir, il me picote la peau, me donne des frissons, et cette petite euphorie qui étire mes lèvres en un léger sourire. Mes yeux se posent sur cette enveloppe charnelle au cœur du pentacle, un homme en fin de vie que je suis allée chercher dans un dispensaire. Sa vie ne compte pour personne. Je défait précautionneusement les lacets de ma cape pour la poser un peu plus loin au pied d'un arbre. C'est un peu vieux jeux, mais j'aime soigner mes interventions, grand-mère n'a cessé de me l'enseigner. Les yeux clos, j'inspire profondément, laissant chaque parcelle de mon corps lui appartenir pleinement. Des mots commencent à s'échapper d'entre mes lèvres, ma langue claque frénétiquement contre mon palais sans que je puisse y faire quelque chose, guidée par cette force qui s'immisce un peu plus en moi au fur et à mesure que les secondes s'écoulent. Dague en main, je m'approche de mon sacrifice, récitant l'incantation nécessaire à ce dernier. Je sens son influence sur mon corps, mon esprit. D'un geste tendre j'attrape son poignet gauche, laissant ma lame s'enfoncer dans sa chair encore chaude pour y tracer une entaille, assez grande et profonde pour laisser le sang se répandre. Je répète ce geste avec le poignet suivant, puis les chevilles. Prise toute entière dans l'incantation, je ne remarque pas les gémissement de ce pauvre homme, apeuré. Je ne suis plus maîtresse de mon corps, l'instinct prend le dessus, je ne peux plus faire marche arrière, je veux ressentir encore plus de magie s'écouler en moi, traverser ma chair, faire vibrer mes os. A cheval sur mon offrande, je dessine du bout de ma dague le pentacle sur sa peau blanchâtre rapidement recouverte par ce liquide épais, sombre, qui se répand rapidement sur l'herbe, et éclabousse mon visage. Ce contact chaud m'arrache un frisson, mais n'arrête pas le flot de paroles qui s'élève dans l'obscurité de la forêt. Ma voix se durcit, les mots résonnent contre les arbres qui nous entoure, les mots se font plus violent, tout comme les sensations que je commence à ressentir. Du bout des doigts, je caresse ce visage qui perd peu à peu toute expression, et ce regard vide laisse une sensation de satisfaction m'envahir. Ma main glisse jusqu'à cette gorge, lisse, parfaite, que je m'empresse de trancher d'un geste vif, tout en prononçant les derniers mots de l'incantation. Aussitôt la barrière de mes lèvres franchit, une vive secousse me cambre, un frisson parcourt ma colonne vertébrale, fait craquer mes os. Cette énergie soudaine contracte chaque membre de mon corps, un bref instant de plénitude qui disparaît aussi vite qu'il n'est apparu. C'est fait. Les yeux fermés, je fait lentement glisser ma dague ensanglantée sur mes lèvres. L'effluve du sang me donne des vertiges, son goût sur ma langue un plaisir malsain. Encore, il m'en faut plus, beaucoup plus. Je laisse ma main glisser sur le torse du cadavre, la laissant s'imprégner du liquide, avant de la poser délicatement sur ma joue, comme une légère caresse. Cette sensation de bien-être, de supériorité face à cet être simple, inférieur à nous. Oui, ils le sont, je dois continuer, ce pouvoir j'en ai besoin. Alayna ! Les yeux écarquillés, rivés sur cet astre nocturne, je sens mon cœur s'affoler soudainement et un vent de panique souffler sur ma peau. « Non. » Perdue, je regarde tout ce qu'il y a autour de moi, et mes mains totalement recouvertes de sang. Je me redresse aussitôt, abandonnant le corps pour me jeter totalement dans la rivière non loin. Mon élément, le seul endroit où je me sens en sécurité, moi même. Aussitôt dedans, je m'empresse de retirer cette crasse, ces preuves de ma défaillance. Hors de question que cette par d'ombre s'empare de moi.