identity card PRÉNOM(S) : aleksandra. pendant longtemps, elle voulu être appelée alek, parce que plus masculin, plus elle - mais depuis toujours et à jamais, elle est ola. AGE : cela fait vingt-six ans qu'elle est venue au monde. ce sont les neiges de l'hiver polonais qui l'ont vue naître. PROFESSION : elle a récemment terminé ses études en histoire pour devenir archiviste. STATUT SOCIAL : elle ne s'engage pas, ola. elle attrape, elle garde quelques temps ; puis elle chasse, parce qu'elle a peur. peur pour eux. RACE : la lune et la mort l'ont sauvée, la lune et la mort l'ont fait vivre. elle est une sorcière de l'air. NATIONALITÉ : elle a obtenu la nationalité irlandaise il y a plusieurs années déjàa. ORIGINES : sa mère a des racines allemandes, quelque part dans son arbre généalogique, plusieurs générations en arrière. mais les skrzydlewski sont polonais depuis des siècles. FAMILLE : tout le long d'un siècle - du seizième au dix-septième - les skrzydlewski ont chassé les loups de pologne - surtout dans l'ouest du pays, région la plus riche en forêts. mais une des fratries a décrété, en 1842, que les actes barbares de leur famille devaient cesser (principalement parce que l'un des six frères venait d'être mordu, et qu'aucun des cinq autres ne pouvait se résoudre à mettre fin à ses jours). depuis, ils n'ont plus rien à voir avec le surnaturel - du moins, pas directement. aujourd'hui, les histoires que l'on raconte ont de merveilleux airs de légende ; et certains, sorciers ou mordus, arrivent à y voir une part de vérité, sans pour autant le faire savoir à qui que ce soit.

characterization I depuis son plus jeune âge, elle s’intéresse davantage au passé qu’au présent – et le futur, elle n’en a que faire. plus c’est vieux, plus ça risque de lui plaire. elle fait partie de ses âmes frustrées d’être née à son époque. son rêve ? les années vingt. II elle a commencé à collectionner les timbres lors de son arrivée en irlande. elle ne connaissait pas l’anglais, elle ne connaissait pas les gens – mais elle rêvait du monde et de la terre. ses albums doivent probablement être rangés dans le placard du couloir de son appartement. III  elle n’a pas tout de suite pu bénéficier de l’aide d’un « mentor », une fois sa nature de sorcière découverte. elle a donc passée sa première pleine lune à souffrir le martyr, avant de trouver un repère en la personne de son camarade de classe et bibliothécaire. IV ola n’est pas le genre de femme que l’on voit avec son téléphone dans la main et ses écouteurs branchés dessus, mais plutôt avec un lecteur de cd portable et un casque. en vérité, même ça, elle ne le garde pas dans sa main – elle préfère lire. lire dans la rue, sans faire attention aux gens dans lesquels elle pourrait rentrer, aux poteaux qu’elle pourrait heurter, aux marches qu’elles pourraient rater. Vautrefois très masculine, le début de sa vie de jeune adulte a été marquée par un changement complet d’apparence : elle avait troqué ses jeans baggy et déchirés contre des collants et des jupes, ses hauts larges, amples, contre des tops plus féminins, ses baskets contre ballerines et mocassins. la première fois que son meilleur ami l’a vue accoutumée de la sorte, il a cru qu’elle s’était déguisée. VI elle a toujours voulu avoir des frères et sœurs. plein. toute une ribambelle, des plus vieux, des plus jeunes ; avec qui elle aurait pu courir dans un grand et vert jardin, faire des bataille de nourriture dans la cuisine, allez à la plage en été… elle n’a eu que les orphelins de wrocław – puis uaine. VII elle a toujours eu l’impression d’être une coquille vide de vie et de sens. elle apprendra pendant son adolescence l’origine de cette sensation : l’absence de sa sœur jumelle, un bébé mort-né qui, malgré qu’elle n’ait jamais vécu, fait partie intégrante de l’entité qu’est aleksandra. VIII elle ne supporte pas les bruits qui pourraient être évités. les marmonnements, les sifflements, les reniflements – tout cela lui tape sur les nerfs, la ferait presque devenir violente. IX elle aime porter des bijoux – mais simples, presque invisible. En vérité, elle aime toute forme d’ornement, du moment qu’il est bien caché. Le symbole de l’air, son élément, est tatoué sous son sein gauche, et elle s’est faite percée le creux de son oreille droite pour y mettre cinq petites perles noires. X elle monte à cheval depuis son plus jeune âge. son attachement pour le passé y est sûrement pour quelque chose. elle n’est pas ce genre de personne qui en parle sans arrêt et qui accumule les allers-retours entre chez elle et le centre équestre. elle aime simplement ça. à un tel point qu’elle n’a pas hésité une seule seconde avant de s’inscrire dans le club de polo de glencullen. XI elle faisait autrefois partie de ce cercle qui accueille les sorciers solitaires, à glencullen. mais sa haine envers la lune, puis le départ d'une de ses plus grandes amies lui a fait retourner sa veste. lors des nuits de pleine lunes, elle sort désormais avec trois autres femmes de son espèce, de qui elle s'est entichée, plus qu'elle ne l'aurait cru possible.

depuis quand habitez-vous à Glencullen ? Et pourquoi avoir choisi cette ville ? : elle a choisi de quitter sa pologne pour l’irlande afin de poursuivre ses études en histoire – du moins, officiellement. en vérité, c’est à la fois parce que ce pays est le berceau de l’énergie qui l’habite et parce qu'il a vu naître son meilleur ami qu’elle y a jeté son dévolu. bien qu’étudiante, et maintenant archiviste à dublin, glencullen a toujours eu ce petit côté irrésistible. six ans depuis que le nemeton a commencé à l’attirer, et elle ne compte pas partir de sitôt. Avez-vous remarqué la présence de plusieurs créatures surnaturelles ? Croyez-vous en leur existence ? Si vous êtes vous-mêmes une de ces créatures, avez-vous conscience de la présence de chasseurs, ou vous pensez-vous plus fort qu'eux de toute manière ? : elle n’avait d’abord aucune idée de l’existence du monde surnaturel. et, une fois sa véritable nature révélée, elle pensait être un cas isolé. mais une fois son mentor trouvé, elle s’en rendue compte du point auquel ce monde était vaste. quant aux chasseurs, elle a appris plus tard l’appartenance de ses ancêtres à cet ordre. quelque part, elle les comprend. mais la plupart de temps, elle se demande comment ils peuvent être assez stupides pour se dresser devant des forces qui les dépassent. Croyez-vous en l'existence de divinités quelconques ? Avez-vous une religion ? Si oui, laquelle ? La pratiquez-vous sur une base régulière, ou pas du tout ? : elle croit en la lune sans l’adorer. elle croit en la mort sans lui être reconnaissante. elle sait parfaitement qu’ils l’ont sauvée, elle sait parfaitement qu’elle est leur fille. mais elle ne peut s’empêcher de penser à la sœur qu’ils lui ont pris pour qu’elle survive. alors oui, chaque pleine lune, et sort et sacrifie en leur nom. mais c’est simplement parce que son corps l’y pousse. impossible pour elle de nier leur existence, mais il lui est tout en temps inconcevable de les chérir.

PSEUDO :   PRENOM :    AGE :   COMMENTAIRE, SUGGESTION ? :    AVATAR :    GROUPE :    PERSONNAGE :  

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Natalia sert la main de son mari dans la sienne et porte une main à sa bouche. Elle se laisse retomber contre l’amas de coussin que l’on avait glissé derrière son dos. Oliwia n’avait pas survécu à  la grossesse périlleuse de sa mère. Toutes les trois – Natalia, Oliwia, et Aleksandra – avaient lutté sept mois durant, les deux sœurs s’accrochant, inconsciemment, du mieux qu’elles avaient pu. Seule la première née avait réussi à respirer – et seule la première née ouvrirait les yeux, ferait ses premiers pas, dirait ses premiers mots. Elle avait mis longtemps à évacuer ses premiers pleurs depuis ses poumons, et personne ne s’y attendait. Les jumelles avaient été déclarée mort-nées le jour précédent, et leur mère avait dû subir une césarienne d’urgence, et une nuit passée à l’hôpital. Les médecins avait d’abord fait entrer le berceau de la survivante, plaquant un sourire énorme, presque trop larges, sur le visage de ses parents – qui avaient, évidemment, espérer voir un autre berceau à sa suite. Qui n’était jamais venu. Elle s’était battu pour deux filles, avait cru n’en avoir aucune, mais on en posait quand même une sur sa poitrine. Un tout petit être faible, qui ne ressemblait pas du tout à l’idée que le couple s’était faite d’un bébé. Mais elle représentait déjà tout leur monde. Ils n’avaient pas grand-chose, les Skrzydlewski, si ce n’était une minuscule maison dans le centre Wrocław, dotée d’une cuisine, d’un salon/chambre à coucher, d’une salle de bain et d’une pièce attenante où leurs jumelles auraient pu grandir. Une seule aurait se privilège – sa cadette n’ayant pas produit le moindre son, ni le moindre mouvement. Comment Aleksandra avait-elle réussi à vivre – à revivre, puisqu’elle était officiellement décédée depuis quelques heures quand les médecins l’ont entendue pleurer –, personne ne réussissait à se l’expliquer. Mais dans un pays croyant et friand de légende, on qualifiera la petite Ola de miracle ; celui de ses parents, qu’ils  ne voudront jamais laisser partir.

Sa mère sourit, passe doucement ses doigts sur le crâne minuscule de sa petite. Grzegorz ne peut pas s’empêcher de faire de même, arrivant à peine à croire qu’elle était bien là, sa Aleksandra. Les montagnes russes émotionnelles que l’on leur avait fait dévaler avaient creusé leurs traits, cerné leurs yeux, et affaibli leurs corps à tel point que tous deux tremblaient tant les forces leur manquaient. Mais tout allait mieux, maintenant. La famille qu’ils s’étaient vus refusée vingt-quatre heures plutôt était finalement là. Partielle, à jamais déchiré, mais tout de même là. Le plus beau cadeau qu’on ait pu faire à deux des plus belles âmes du monde. La Déesse savait, qu’ils ne méritaient pas un tel affront. Les Skrzydlewski avaient longtemps traqué et condamné ses enfants, mais certains d’entre eux étaient tout droit issus de cette famille polonaise. Des siècles avaient passé depuis leur dernière chasse, seulement quelques années depuis la mort de leur dernier sorcier. Elle avait refusé de voir Grzegorz souffrir d’une telle manière. Alors, elle avait passé un accord avec son bel amant

Oliwia, prix d’un passé ombragé et criminel.

Aleksandra, récompense de ces trois siècles paisibles et pieux.

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Assise sur la balançoire de la cours de récré, elle observe. Elle observe les enfants autour d’elle, les regarde, essaie de les comprendre. Comment font-ils pour être aussi joyeux ? Elle n’arrive pas à être comme eux, Ola. C’est une enfant triste. Elle est convaincue que c’est ce que le blanc qui l’entoure signifie – qu’elle est triste. Elle arrive à le voir sur certains autres, mais ils se font rares. La plupart de ceux qu’elle croise ne sont pas entouré de cette lumière qu’elle voit dans le miroir.

Elle tourne la tête à sa gauche, et sourit. Tout le monde pourrait la voir sourire dans le vide, mais elle sourit à sa voisine. Sa sœur qu’elle est encore persuadée de voir. Une amie imaginaire, c’est comme ça que ses parents l’appellent – mais Ola, elle sait qu’elle est réelle. Parfaitement identiques, elles sont inséparables, même si personne n’arrive à les voir toutes les deux. Au début, elle en parlait ouvertement, comme d’une vraie personne, mais elle a vite compris qu’elle ferait mieux d’éviter le sujet, de garder tout ça pour elle. Elle n’était qu’en primaire, mais déjà les autres enfants pensaient qu’elle était folle. Isolée par ceux que les adultes aimaient appeler « ses petits camarades », c’était sur cette balançoire qu’elle passait toutes ses récréations. Et c’était sur cette même balançoire qu’elle attendait que son père vienne la chercher. Et ce soir-là, comme souvent, il était en retard.

C’est la voiture de sa mère qu’elle a vu arriver. Elle n’a pas compris, et elle a fait un discret signe à Oliwia pour qu’elle la suive. Elle s’arrête devant la porte de derrière, attends que sa mère la déverrouille pour pouvoir prendre place sur la banquette arrière. Elle fait glisser son cartable sur le siège de devant, et sa mère se retourne. « Pourquoi tu ne mets pas ton sac à côté de toi ? » L’enfant tourne la tête, échange un regard avec sa sœur. « Ben, à cause d’Oliwia. » Natalia n’arrive pas à se retenir de lever les yeux au ciel, et la petite fille s’enfonce dans son siège. Elle sait qu’elle ne doit pas en parler, pourtant. Mais elle ne peut pas s’en empêcher. Là où les autres ne peuvent pas la voir, Oliwia fait partie intégrante de la vie d’Aleksandra. Là où les psychologues que ses parents lui ont fait voir lui répètent que ce n’est que le fruit de son imagination, la petite reste convaincue qu’elle est bien réelle. Le chemin du retour se fait vite, en silence. Et, une fois dans la cuisine, elle trouve son père assis à table, en peignoir, mal rasé, les cheveux en bataille, devant un livre. Elle ne dit rien, se contente de s’asseoir. Sa mère pose devant elle une tasse de chocolat et deux biscuits, non sans déposer un rapide baiser sur le haut de son crâne. Mais Ola fronce les sourcils – geste que Grzegorz ne manque pas de remarquer. « Qu’est-ce qu’il y a ? » Elle n’ose pas le dire. Elle n’ose pas faire part de ce qui la trouble. L’homme lâche un rire jaune, agacé. « Ola, qu’est-ce que t’as ? » Elle s’éclaircit la gorge, baisse les yeux vers sa tasse. « Maman a oublié Oliwia. » Elle a lâché ça tout bas – mais assez fort pour que ses parents l’entendent. Les larmes montent aux yeux de Natalia, qui s’accroche au plan de travail, apeurée à l’idée que le souvenir de sa fille la fasse s’écrouler. Mais Grzegorz, lui, se laisse gagner par la colère. « Mais t’as bientôt fini avec elle ? » Il avait haussé le ton, assez pour donner à Ola l’envie de courir loin de lui. Mais la peur la tétanise, la force à rester assise en face de ce père encore saoul, encore incapable de contrôler le moindre de ses mots et gestes. Il se lève, vient se mettre à genoux à côté de la chaise de sa fille, attrape ses épaules – lui faisant mal, probablement sans s’en rendre compte. « Ecoute moi bien, ma p’tite. Elle est morte. T’as compris ? Est-ce que t’as compris, Ola ? » Elle ne répond rien, son attention attirée par sa mère qui s’est laissée glisser contre les placards, désormais assise, la tête dans les mains. Elle jette un regard à sa sœur, mais elle n’est plus là. « Elle est morte. Elle peut pas être là, parce qu’elle est morte. Morte. » Il ne cesse de répéter tout cela, encore et encore, jusqu’à qu’à son tour il se laisse abattre par le chagrin. Défaite des ses mains, Aleksandra se lève, laisse sa tasse et ses biscuits sur la table au cas où Oliwia reviendrait pour les prendre, et va s’enfermer dans sa chambre. Elle attend que sa jumelle revienne – des jours ; des semaines ; des mois durant. Et c’est le jour de son dixième anniversaire qu’elle comprend qu’elle n’a jamais vraiment été là. Que son âme déchirée la trompait depuis le début.

Ж

Elle pose délicatement les clés de la maison dans le pot de l’entrée, avant de fermer la porte derrière elle, essayant de faire le moins de bruit possible. Et elle soupire. Cela fait une semaine qu’elle travaille sans relâche. Elle avait été prise à la bibliothèque de son petit village polonais pour ranger tous les rayons, le bâtiment recevant quelques travaux de réaménagement. Elle était censé travailler avec un autre jeune de son âge, mais il ne s’était jamais montré. Alors elle était seul à devoir classer tous les ouvrages par genres, par tranche d’âge, par ordre alphabétique, et par elle ne savait quel autre critère. On lui en avait demandé tant. Elle apprenait pourtant à aimer ça. Les livres, c’était tout ce qu’elle avait toujours eu.

Il était presque vingt et une heure maintenant, et ses parents étaient déjà couchés. Elle entend entendre les doux ronflements de sa mère alors qu’elle passe devant la porte de sa chambre. Elle s’avance le long du couloir, cale son sac sur une marche des escaliers pour le monter en allant se coucher, et tâtonne dans le noir à la recherche de l’interrupteur de la cuisine. Elle a faim, son ventre gargouille depuis deux ou trois heures maintenant.

Elle ouvre de grands yeux quand elle découvre son père assis à table. Affalé à table serait le terme le plus approprié. Il a les bras pendus le long de son corps, la tête sur la surface en formica, comme si d’un coup, toute forme d’énergie l’avait quitté et que son dos ne pouvait plus tenir droit. Devant lui, une bouteille de vodka presque vide, et un verre dans lequel il restait un fond. Elle soupire encore, lâche un juron avant de s’avancer vers lui. Elle n’avait aucune envie d’affronter son alcoolique de père ce soir, mais il le fallait. Elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser dans un état pareil. « Tatuś ? » Il grommelle quand il entend le son de la voix d’Ola dans son oreille, mais ne bouge pas d’un millimètre. Elle se répète, cette fois en le secouant un peu, espérant le faire réagir d’avantage. Grzegorz redresse très légèrement la tête, suffisamment pour que leurs iris noisettes se rencontrent. Elle fuit son regard, habituellement. Mais ce soir-là, quelque chose l’en empêche. « Oh. C’est toi. » Oui papa, c’est moi. A chaque fois, il semblait surpris de la voir rentrer. De la voir encore ici. « Viens, on va aller t’allonger en haut. » Hors de question qu’elle couche son père saoul à côté de sa mère, où les deux passeraient une nuit insupportable. Elle entour son bras de ses deux mains, le tire pour essayer de le faire se lever, mais il se contente de grommeler une nouvelle fois. « Laisse-moi tranquille. » Elle ne baisse pas les bras pour autant, persévère et tente une nouvelle fois – mais cette fois, c’est avec un brusque mouvement du bras qu’il l’envoie balader. Elle manque de perdre l’équilibre, est forcée à reculer et heurte le plan de travail. « Tu m’énerves, Ola. » Il ne se l’avouait même pas à lui-même, mais souvent il s’était demandé s’il aurait été plus ou moins heureux si Ola était partie avec sa sœur. Parce que sa fille lui rappelait sans arrête celle qu’il avait perdue, celle qu’il n’avait jamais pu tenir dans ses bras. A chaque fois qu’Aleksandra, brillante petite qu’elle était, accomplissait la moindre chose, il ne pouvait s’empêcher de se demandait ce qu’Oliwia aurait pu accomplir de son côté. Son souvenir était ravivé par le visage de la survivante – et Grzegorz, il n’en pouvait plus. D’un coup, il a envie de déverser cette colère sur son objet. Il s’avance vers elle, et la gifle, si puissamment qu’elle s’effondre sur le sol. Et parce qu’il est tard le soir, qu’elle est épuisée – et surtout, qu’elle comprend – elle ne daigne pas se relever. Elle ne l’écoute pas vociférer contre elle, s’efforce simplement de reprendre un rythme respiratoire normal. Mais elle comprend quelques mots, qu’il répète encore et encore. C’est ta faute. Sa faute si Oliwia n’existait pas. Sa voix lui fait presque aussi mal que la gifle et la chute. Certains mots lui parviennent – qu’elle réussira à oublier très vite. Elle comprend que sa mère a été réveillée, puisqu’elle vient de les rejoindre.

Elle ne sait pas comment ses mains se retrouvent autour de son cou. Elle attrape ses poignets quand elle sent l’air lui manquer, mais il ne desserre pas son emprise pour autant. Sa mère l’appelle, lui somme d’arrêter. En vain. Plus les secondes passent, moins Ola a peur. Elle sent ses yeux se remplirent de larmes. Elle a mal au dos, puisque tombée sur le carrelage, mais sa gorge qui la fait la plus souffrir. Elle n’assimile plus rien, ses sens se fanent. Elle n’a qu’une seule envie : fermer les yeux jusqu’à ce que tout s’arrête, et tant pis si c’est son cœur qui doit s’arrêter. Car elle sent son pouls ralentir. Mais ses yeux n’arrivent pas à se clore, elle se retrouve obligée de les plonger dans ceux de son père, animé d’une lueur qu’elle ne leur avait jamais vue. Une lueur qui l’effraie, à tel point que l’espace de quelque secondes, elle souhaite qu’il meurt. Elle le pense si fort qu’elle s’entend presque le dire, mais elle ne croit pas que ses mots aient franchi la barrière de ses lippes – où la douleur aurait été accrue, très probablement. Et soudain, il est loin. Poussé par une force invisible, il est projeté à travers la cuisine, atterrissant contre le vaisselier. La porcelaine si brise dans un bruit clair, qui parvient cependant comme un son étouffé aux oreilles d’Ola, qui tente de reprendre son souffle. En vain. Elle a le souffle court, beaucoup trop court pour quelqu’un qui venait d’être étranglé. Elle aurait voulu respirer lentement, les flux d’air lui irritant la gorge comme le ferait du piment ou une boisson trop chaude. Mais ce qui la déstabilise le plus, c’est cette sensation, dans tout son être. Elle avait bien failli dépérir, mais elle se sentait plus vivante que jamais, comme un sang nouveau. Elle inspire malgré elle une grande bouffée d’air, qui lui semble plus frais qu’il n’aurait dû et qu’elle sent, absurdement, couleur dans ses veines. Elle panique. Elle regarde son père, inconscient, quelques bouts de porcelaine éparpillés autour de son corps immobile. Elle se tourne vers sa mère. Plantée dans le sol, droit comme un I, elle avait porté un main à sa bouche, et ses joues étaient trempées de larmes. Elle ne sait ni quoi dire, ni quoi faire, et toutes les deux restent là à se regarder pendant plusieurs, longues minutes. Natalia essaie de comprendre ce qui vient d’arriver, mais elle ne trouve aucune manière de l’expliquer. Comment sa fille avait-elle pu faire traverser la pièce à son père, sans la force que l’effort nécessitait ? Et ce bruit, comme celui d’une bourrasque, qu’elle espères avoir imaginé. Ola, elle regarde ses mains. L’air vient d’y arriver, et elle le sent qui veut s’en échapper. Elle toussote, se laisse guider par un instinct qu’elle ne connaît pas encore – et bientôt, une chaise vole à son tour, seulement stoppée dans son élan par un mur. Sa mère pousse un petit cri, sourd, mais manifestement effrayé. Elles échangent un nouveau regard – et la femme resserre son peignoir contre elle, essaie de paraître la plus impassible possible. « Tu dois t’en aller. » La jeune fille ne se pose aucune question – parce que quelque part au fond d’elle, elle sait qu’elle a raison. Elle hoche doucement la tête, passe rapidement sa main sur l’épaule de Natalia en quittant la pièce, monte les escaliers quatre à quatre et regagne sa petite chambre. Elle attrape un sac de sport, balancé dans un coin, y fourre quelques pulls, jeans et sous-vêtements, ainsi que les paquets de biscuits qu’elle avait caché sous son lit. Elle écrase sa tirelire sur la moquette, et doit marcher dessus pour anéantir le fissures, et glisse pièces et billets dans la poche arrière du sac. Elle prend aussi deux livres, un carnet et son crayon préféré. Alors qu’elle s’apprête à sortir, elle fait demi-tour et s’empare d’un taille-crayon. Elle dévale les marches, et repasse par la cuisine, une toute dernière fois. Natalia s’était agenouillée près de Grzegorz, qui avait repris connaissance. Le regard qu’il lui adresse est vide de tout, là où celui de sa femme est plein de chaleur. Et c’est en leurs deux noms qu’elle parle et qu’elle lâche « Je t’aime. » Aleksandra est incapable de prononcer le moindre mot, alors elle ne répond que par un hochement de tête et un sourire. Elle redresse la bandoulière de son sac sur son épaule, traverse le couloir comme elle l’avait fait un quart d’heure plus tôt. Mais cette fois, elle claque la porte derrière elle, voulant faire autant de bruit qu’elle le pouvait, pour leur faire comprendre que plus jamais ils ne la verraient.

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Elle lâche un léger bruit d’agacement, sa langue claquant contre son palet, espérant que le jeune homme assis à ses côtés comprenne que ses reniflements l’agaçait au plus au point et qu’il songe à se servir d’un mouchoir. Mais il n’en fit rien. Rares étaient les gens qui saisissaient que les bruits de ce genre énervaient la majeure partie de la population – surtout les gens qui, comme Ola, venait de passer les pires vingt-quatre heures de sa vie. Quand elle entend la voix du tramway annoncer son arrêt, elle s’empresse de quitter sa place et de se planter devant la porte. Et elle suit le mouvement de la foule qui s’extirpe du véhicule, chacun allant vaquer à ses propres occupations. Ola, elle, elle n’a pas besoin de réfléchir où elle va ; droit devant elle, là où la bibliothèque trône. Mais contrairement à ce qu’elle avait fait ses deux dernières années, elle ne s’y rend pas pour travailler. Elle allait lire, elle allait chercher, elle allait trier ; elle allait essayer de comprendre ce qui lui arrive. Elle avait toujours tout trouvé dans les livres, c’était dans les pages qu’elle se réfugiait, dans l’encre qu’elle baignait.

Elle lâche une bouffée d’air avant de s’avancer vers l’accueil. Combien de gens avaient déjà posé la question qui lui brûlait les lèvres ? Elle n’arrivait pas à se détendre. Elle avait la désagréable impression de dépasser les limites de ce monde dans lequel on lui avait fait mettre les pieds. Avait-elle le droit d’en parler ? Ou était-elle soumise à une loi qui l’empêcherait d’en dire le moindre mot. Elle rassemble toutes ses mèches brunes devant une seule épaule, marche sans vraiment s’en rendre compte jusqu’au bureau, en face de l’entrée. Elle toussote, fait relever la tête de la vieille femme en face d’elle. Elle lui adresse un sourire qui lui réchauffe le cœur, et elle ne peut s’empêcher de lui rendre. Mais ce sourire disparaît quand elle entend les mots qu’elle prononce. Ses sourcils se froncent, elle s’éclaircit la gorge avant de lui noter une série de numéro et lettres sur une feuille. « L’étage, l’aile et l’allée où vous trouverez des réponses. Bon courage. » Ola ouvre la bouche, avant de se rendre compte qu’elle n’avait rien à redire. Peut-être qu’elle savait de quoi elle parlait. Peut-être qu’elle avait compris. Elle hoche la tête, la remerciant silencieusement, et suit les indications. Elle se retrouve entre deux étagères, lesquelles ne contenant que des livres aux tranches abîmées. Comme à chaque fois, l’odeur du vieux papier dessine un sourire sur ses lèvres gercées par le froid. L’allée n’est que très peu éclairée, quelques rares néons grésillant au plafond. Mais c’est comme une source de lumière qui attire le regard de la jeune fille. Quelqu’un est assis, au fond, contre un mur, entouré de cet halo blanc qu’elle voyait autour d’elle, dans le miroir, sur les photos. Ses jambes croisées en tailleurs, il a les yeux rivés sur le livre qu’il tient ouvert sur ses genoux, et d’autres ouvrages reposent à même le sol, certains posés ouverts, d’autres non. Lui, il n’a pas l’air d’être plus vieux qu’elle, ou alors d’une seule année. Et elle se demande comment elle pourrait l’aider. Mais si c’était là où on l’avait envoyée, ça ne pouvait pas être sans raison. Alors elle relègue ces interrogations dans un coin de sa tête, ne gardant que celles qui la taraudaient depuis plus d’un mois maintenant. Elle ne sait pas ce qui la pousse à s’asseoir en face de lui, mais ça a le mérite de le faire lever les yeux. Il n’avait pas posé ses iris plus de trois secondes que ses lèvres avaient déjà été tordues par un rictus. Il ferme son livre dans un bruit sec, redresse son dos, appuie ses coudes contre ses genoux, puis ses joues contre les paumes de ses main. « Nuit blanche, hein ? » Elle aquiesce. Pas besoin d’être un géni pour le savoir. Ses cernes devaient probablement parler pour elle. Il se penche un peu en avant, étendant son sourire. « Vomissement, tremblements, envie de mourir, puis retour à la normale ? » Cette fois, il arrive à la troubler plus qu’elle ne l’était déjà, ce qu’elle n’aurait pas cru possible. Elle le dévisage, plusieurs dizaines de secondes durant. Et puis, elle se dit que cet halo veut certainement dire quelque chose. Que s’ils ont le même, ce n’est pas pour rien. Et que c’est probablement la raison pour laquelle il sait parfaitement ce à quoi elle a passé la nuit. Elle hoche une nouvelle fois la tête, plus lentement cette fois, avant de pincer les lèvres. « Ca veut dire que tu peux m’aider ? » A son tour d’opiner du chef. Et, pour la première fois de sa vie, Aleksandra ne se sent plus seule.

Ж

Leurs bottes qui foulent l’asphalte produisent des bruits sourds, brisant cependant le silence de la nuit. Ici, en plein centre-ville de Glencullen, il n’y a pas un bruit. Tout le monde est parti se coucher, ou alors, reste silencieux pour ne réveiller personne. Mais plus loin, dans les bois, les cris et les incantations résonnent. Certains n’ont pas encore terminé leurs sacrifices, d’autres se battent encore. Les chasseurs ne s’arrêtent pas avant le lever du jour, en général. Ola et Uaine, ils en ont fini depuis longtemps. Leurs victimes reposent presque en paix, la gorge coupée, le sang coulant droit vers le centre du pentacle qu’ils avaient dessiné. Ola, elle revoyait les yeux qui l’avaient fixée alors qu’elle s’apprêtait à en retirer toute forme de vie. Grands, bruns, ils l’avaient suppliée. La jeune femme qu’elle avait trouvée devait avoir son âge, ou un tout petit peu plus jeune. Elle n’en avait eu que faire, de ce qu’elle était – simple humaine, chasseuse… Peut-être l’avait-elle déjà croisée, plusieurs fois. Peut-être qu’elle était la caissière qui lui avait fait payer ses courses, ce même après-midi, mais que la sorcière ne s’en était pas souvenue. Sous l’influence de sa Mère, elle ne s’en était pas préoccupée. Mais maintenant qu’elle rentrait chez elle, son meilleur ami à côté d’elle, leurs bras collés, elle réfléchissait. Presque dix ans s’étaient écoulés depuis que ces deux-là s’étaient trouvés – presque six depuis qu’il avait décidé de revenir à son Irlande natale, et elle, de le suivre. Parce qu’il était tout ce qu’elle avait, et qu’elle n’avait pas pu se résoudre à le laisser partir. Elle en avait sacrifiée, des vies. Elle en avait lancé, des incantations. Mais depuis plusieurs mois, elle pensait à toutes les conséquences, à tout ce qui pesait sur sa conscience. Elle pensait à cette Lune à laquelle elle obéissait sans se poser la moindre question. Et elle se demandait pourquoi. « Ola ? » Elle lève les yeux vers lui, lui adresse un sourire qu’elle se veut le plus rassurant possible. Mais il n’était pas stupide. Il la connaissait, sa Ola. Elle n’avait pas à se donner la peine de camoufler ses émotions, parce qu’il arrivait à lire en elle comme dans un livre ouvert. « Tu refais ta tête qui m’inquiètes. Qu’est-ce que t’as ? » Ca l’énervait, qu’il la comprenne aussi facilement. Mais en même temps, c’était bien le seul à savoir le faire. Le seul tout court. Son repère dans ce monde si vaste. Alors elle lui parle de tout ce à quoi elle pense depuis quelques temps, à toutes les vies qu’elle avait prises et du fait qu’elle n’arrivait plus à vivre avec ce poids, qu’elle n’aimait pas la tueuse de sang-froid qu’elle devenait à chaque fois que leur Déesse s’élevait, pleine, qu’elle aimerait ne plus avoir à tuer en son nom pour survivre. Elle déballe tout d’un coup, prenant à peine sa respiration. Elle ne l’a pas regardé, ses yeux rivés droit devant elle. Et une fois le silence revenu, elle cherche son regard, qu’il avait posé sur elle. A aucun moment il ne l’y avait retiré, l’écoutant et la dévisageant à la fois. Parce que ce qu’elle disait n’avait aucun sens à ses yeux – aucun. Il laisse quelques secondes couler avant de lui répondre. « Tu l’aimes pas, hein. » Elle soupire, sachant parfaitement de quoi il parlait. « Des fois, je réfléchis à ce que j’aurais pu avoir, ou garder, si elle n’avait pas été là. » « Tu serais morte, un point c’est tout. » C’est le moment où il a compris qu’elle lui échappait. Qu’elle lui filait entre les doigts. « J’aurais encore préféré ça. » Ca plutôt que devoir vivre sans sa sœur, avec des parents qui, inconsciemment, la blâmaient pour la mort d’Oliwia et pour sa vie à elle, plutôt que de devoir tuer afin de rester en vie. Elle trouvait que sa vie ne méritait plus d’être vécue. Et c’était sa faute. Sa faute à Elle. Il a essayé, de la faire rester. Il a essayé, de lui faire comprendre qu’elle ne pourrait pas lutter. Mais elle était bornée. Trop haineuse envers cette Lune qui l’avait à la fois bénie et maudite. Il a fini par abandonner. Il s’est levé du banc où ils s’étaient assis, comprenant qu’il n’arriverait pas à la raisonner, et à lui rappeler que c’était ce qu’elle était, qu’il n’y avait rien à faire. En vérité, il a eu peur. Peur qu’elle réussisse à le convaincre. Que lui aussi se mette à essayer de nier sa nature. Alors il l’a laissée. Assise là. Pour ne plus jamais revenir.