Un des appels les plus terrifiants de toute ma vie. Voilà ce à quoi j'ai eu droit hier soir, lorsque la mère de Cassie m'a annoncé que sa fille était allé à l'hôpital plus tôt dans la soirée. Je me souviens que j'étais en train de remonter mon 9mm quand mon téléphone a vibré, et j'ai décroché sans trop me poser de question : il n'est pas rare que la mère de Cassie me passe un coup de téléphone de temps à autre, juste pour bavarder. Après tout, je la connais depuis toujours, et étant donné le nombre de fois où j'ai dormi chez Cassie pour une durée indéterminée au préalable et vice-versa, elle me considère presque comme son propre fils. Evidemment, hier soir, il s'agissait d'un tout autre problème, et il ne m'a pas fallu plus d'une minute pour dévaler les escaliers, 9mm toujours en main par automatisme, comme si je partais à la chasse.

C'était un peu comme un rêve éveillé, alors que je conduisais aussi prudemment et rapidement que possible jusqu'à chez Cassie. J'ai imaginé tous les scénarios possibles de ce qui avait pu lui arriver et de la gravité de son état. Bien sûr, si elle était déjà sortie, c'était qu'il ne devait pas y avoir grand-chose, mais ça, c'est une façon de penser rationnelle, et à cet instant précis, j'étais tout sauf rationnel. Je me suis même imaginé, pendant une seconde aussi brève que terrifiante, que ce qui été arrivé à ma soeur venait de se reproduire avec ma meilleure amie, me poussant à appuyer sur l'accélérateur plus que de raison.

Bien entendu, arrivé là-bas, j'ai eu tout le loisir de constater qu'il n'y avait rien de particulièrement grave, et qu'elle s'en sortirait sans séquelles. En bon meilleur ami qui se respecte, j'ai insisté pour passer la nuit chez elle, et comme bien souvent dans cette situation, je suis finalement resté toute la journée suivante également, écoutant plusieurs fois le récit des aventures de Cassiopé de la veille, détestant un peu plus ce que j'entendais à chaque fois. Elle avait rencontré un garçon et après avoir fait son idiote, était tombée dans la neige, se blessant stupidement. Ca, c'est la version que Cassie m'a donné et que mon cerveau a automatiquement transcrit en "Elle a rencontré un abruti qui a une mauvaise influence sur elle et qui la met en danger et que je me dois de tenir à distance pour la protéger." Elle était encore en train de rire de sa mésaventure quand quelqu'un a sonné à la porte.

C'est moi qui suit allé répondre, dévalant les marches de l'étage quatre à quatre pour voir qui pouvait bien nous déranger alors que ce n'était strictement pas le moment. A peine ai-je ouvert la porte que ma mâchoire s'est crispé devant celui qui se tenait devant moi : un jeune homme que je ne connaissais pas et qui ne m'inspirait certainement pas confiance. Je suis sorti, obligeant l'autre à reculer et ai fermé la porte devant, de sorte d'envoyer un message qui voulait dire, plus ou moins poliment : "T'es pas le bienvenue ici et si tu me cherches tu vas me trouver."

L'inconnu me regarde fixement et me dit calmement qu'il voudrait voir Cassie pour prendre de ses nouvelles. C'était donc toi, la raclure qui a mis ma meilleure amie en danger, n'est-ce pas ? Dans ce cas je vais me faire une joie de te rendre la monnaie de ta pièce et de bien te faire comprendre que ta présence n'est plus souhaitée ni souhaitable par ici. "Ouais, et donc, t'es qui toi ? Si t'étais un des amis de Cassiopé, je saurais te reconnaître et c'est pas le cas, alors tu peux bien comprendre que je peux pas te laisser la voir, surtout dans son état." Je hausse les sourcils à mesure que je parle, de sorte à lancer le regard qui veut dire : va voir ailleurs si j'y suis.

Pour ta santé, je te conseille vivement de rebrousser chemin, petit, tu sais pas à qui tu te frottes.

Je me rends compte après t'avoir parlé que je n'ai même pas pris le temps de te regarder avant de partir au quart de tour. Non pas que je le regrette, évidemment : après ce qui est arrivé à Cassiopé, je me moque bien de ce à quoi tu ressembles, tu aurais eu le même traitement que tu sois taillé comme une armoire à glace ou que tu sois plus proche du fil de fer... Mais je prends quand même le temps de te détailler, parce qu'en tant que chasseur qui se respecte, je me dois bien de savoir à quoi ressemble mon adversaire, et puis si je peux trouver quelque chose à critiquer au passage, c'est toujours ça de pris.

Seulement voilà, je ne trouve strictement rien. Du moins, pas aux premiers abords : tu n'as aucun signe distinctif, pas de style vestimentaire exubérant, ni de piercing, tatouages, de carrure qui tende vers l'hypothèse de l'athlète surentraîné ou du petit génie rat de bibliothèque. En fait, je me rends compte que tu as l'air d'un garçon tout ce qu'il y a de plus normal et si j'ose aller jusque là, je dirais même que tu as l'air plutôt cool. Le seul problème que j'ai en te dévisageant, c'est cette sensation plutôt étrange que j'ai en te regardant droit dans les yeux. Ce léger frisson à l'arrière de ma nuque accompagné de cette petite voix qui semble me dire de me méfier. Je ne saurais pas vraiment comment le définir, mais il y a quelque chose chez toi qui me chiffonne, qui me pousse à ne pas te faire confiance. En plus du fait que tu te retrouves mêlé à Cassiopé et qu'elle en ressort blessée, évidemment.

Je suis toujours en train d'essayer de comprendre de quoi il s'agit quand tu me réponds d'une voix calme, et polie mais pourtant distante et froide. Et c'est ta réponse qui me fait oublier toute ma prudence et qui me donne l'envie de te cogner. Et sans que je ne puisse me l'expliquer, c'est le fait que tu penses que Cassie est ma copine qui m'énerve le plus. Mais je n'ai ni le temps ni l'envie de penser au pourquoi du comment pour l'instant, tout ce que je veux c'est te remettre à ta place et te faire dégager au plus vite. Parce que ton attitude ne me plaît pas, parce que j'extrapole consciemment le fait que Cassie soit dans cet état par ta faute, et parce que j'ai décidé que finalement, tu avais l'air plus demeuré que cool.

"C'est important pour moi. Quand quelqu'un se pointe pour prendre des nouvelles de ma meilleure amie après qu'il soit responsable de ses blessures, je veux savoir de qui il s'agit. Sans compter que j'aime pas beaucoup le mystère de manière générale, et dans ce cas précis, je ne le tolère pas du tout. Alors si t'as quelque chose à cacher, tu ferais mieux de rebrousser chemin et de lui foutre la paix, à Cassiopé. T'as déjà fait assez de bordel comme ça, de totue façon."

Oui, je sais, je cherche. Je sais que je ne devrais pas me chauffer autant, et que ça doit te paraître complètement absurde en plus de t'énerver. Et c'est absolument ce que je veux : quelqu'un sur qui passer mes nerfs...